Après vint-trois ans d’absence, l’extravagant cinéaste chilien revient avec une autobiographie fellinienne et habitée.
Cette année marque un revival inopiné pour le cinéaste-shaman-tarologue Jodorowsky : un docu (Jodorowsky’s Dune) se penche sur sa version avortée du classique de la littérature SF, finalement adaptée par David Lynch ; le pape de l’underground seventies livre enfin un film, vingt‑trois ans après son dernier (Le Voleur d’arc-en-ciel, pas terrible).
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Le moment, à 84 ans, de revenir sur sa vie, mais jamais comme il faut, forcément. Dans La Danza de la realidad, Jodorowsky déroule son enfance chilienne en la faisant valdinguer au gré de visions, du “réalisme magique” cher aux écrivains latino‑américains tels Julio Cortázar ou Gabriel García Márquez.
Ici, jeter un caillou dans la mer tue des milliers de poissons sans que l’on cille. Une goutte dans un torrent d’images poétiques et provocatrices qui donne le tournis, la sensation que Jodorowsky trousse des dizaines de films en un pour rattraper le temps perdu. Avant qu’il ne soit trop tard.
Le réalisateur d’El Topo sait toujours bâtir des univers ésotériques en ébullition. Sa jeunesse de fils de Juifs russes émigrés à Tocopilla, “Jodo” l’évoque comme si c’était du Tod Browning (le cirque, les éclopés à la Freaks) ou Fellini (le cirque, le train de souvenirs qui déraillent à la Amarcord) sans grand souci de vraisemblance (du Chili des années 30 de Jodorowsky gamin à celui de Pinochet, il n’y a qu’un pas).
Le beau geste du film est d’exorciser coûte que coûte les démons familiaux par le fantasme, avec générosité et perversité : Jodorowsky se réinvente en gamin queer à boucles d’or, imagine sa mère ne s’exprimant qu’en chantant comme à l’opéra et veillant sur lui comme la fée de Pinocchio.
Mais c’est le père, communiste stalinien menant le foyer d’une main d’acier, qui devient la figure centrale lorsque ses projets d’assassinat politique tournent à l’odyssée barrée dans la seconde moitié du film. Humaniser ce géniteur pas tendre, c’est aussi lui faire subir un calvaire christique, torture par des agents anachroniques de la CIA comprise.
Le traitement de choc par procuration sur papa est en fait beaucoup plus tordu, puisque c’est Brontis, le propre fils de Jodorowsky, qui joue le père (et donc son grand-père). De la “psycho-magie” selon l’auteur, soit commettre un acte symbolique pour surmonter une peur, un trauma. Ici, on se peinturlure en noir pour ne plus avoir peur de l’obscurité, on se dénude pour être invisible.
Qu’on y croie ou non, la thérapie familiale passe merveilleusement à l’écran. Ingérer l’ennemi, réunir ce qui est irréconciliable pour laisser le champ libre à une poésie constante : la magie peut‑être, le cinéma sans doute.
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