Naomi Kawase mène une enquête impressionniste autour de l’absence de son père, dans deux essais poétiques. Fascinant.Le public cinéphile a découvert Naomi Kawase en 1997 avec son premier film de fiction, Moe no suzaku. Une histoire de famille où un père disparaît mystérieusement dans un tunnel. Vision romancée d’une réalité à laquelle la cinéaste a […]
Naomi Kawase mène une enquête impressionniste autour de l’absence de son père, dans deux essais poétiques. Fascinant.
Le public cinéphile a découvert Naomi Kawase en 1997 avec son premier film de fiction, Moe no suzaku. Une histoire de famille où un père disparaît mystérieusement dans un tunnel. Vision romancée d’une réalité à laquelle la cinéaste a consacré deux essais documentaires à près de dix ans d’intervalle, Dans ses bras (1992) et Dans le silence du monde (2001).
Le premier, moyen métrage (40 minutes), relate les efforts de Kawase, alors âgée de 23 ans, pour retrouver son père, qui l’a abandonnée peu après sa naissance. Hétérogène, le film est une marqueterie de natures mortes filmées en super-8, à la manière brute et irrégulière de Jonas Mekas, entrecoupée d’autoportraits, d’interviews de membres de sa famille ou de commentaires de la cinéaste, avec une bande-son asynchrone. Du cinéma d’amateur professionnel incluant volontairement les scories du filmage (rayures, flous, images noires ou surexposées) et du son. Ce scrapbook intime, collage d’instantanés mouvants et émouvants (fleurs, détails, paysages, vieilles photos en noir et blanc), constitue un exercice aussi maniériste qu’impressionniste, d’une grâce infinie, illustrant de loin en loin l’enquête proustienne de Kawase sur son enfance, sur ses parents ; avec en point d’orgue les bouleversantes retrouvailles téléphoniques de la fille et du père.
Deuxième acte, Dans le silence du monde (50 minutes). Filmage identique, brouillé, mais moyens techniques plus perfectionnés, son synchrone. Comme dans un feuilleton, ça démarre avec le résumé de l’épisode précédent : Naomi revoit au magnétoscope la scène de la conversation téléphonique avec le père. Qui, nous apprend aussitôt après un message sur un répondeur, est mort le 5 septembre 1999. C’est sans doute pourquoi la cinéaste a prolongé ses recherches, plus en détail, sur son adoption. Eternelle question des origines qui revient au centre du documentaire, avec par exemple les beaux films de Bredier/Aziza (Nos traces silencieuses) et Sébastien Lifshitz (La Traversée).
Biaisant toujours, effleurant le réel par cercles concentriques avec une caméra un peu myope et tremblotante comme pour masquer son sujet, Kawase change soudain de registre pendant les vingt dernières minutes. Cela devient une performance, voire une séance de psychanalyse chez un tatoueur, à qui la cinéaste, hésitante, montre des photos de son père, le corps orné comme un yakuza. Elle finira par se faire tatouer tout le dos, en souffrant, comme si par cette douleur/trace silencieuse, Naomi Kawase accomplissait une sorte d’acte chamanique, incorporant symboliquement l’âme de son géniteur dans son épiderme et dans son autre peau, virtuelle, celle de son film.
Vincent Ostria
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