Depuis le 14 avril, la Galerie Nathalie Obadia présente « Une Cabane de cinéma : la serre du bonheur », la nouvelle exposition d’Agnès Varda. Visite guidée aux côtés de la plus célèbre des glaneuses.
« Je me sens bien dans le ventre de cette baleine, à l’abri de tout, à l’abri du monde, à l’abri du vent de la côte, dans mon abri-côtier. » C’est dans Les Plages d’Agnès, dans un douillet petit salon aménagé au creux du ventre d’une baleine en carton, qu’Agnès Varda se prélasse, rêveuse.
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Celle qui a baladé sa caméra aux quatre coins du globe, du port de Sète (La Pointe Courte) au Los Angeles libertaire des années 70 (Lions, love… and lies) de l’Iran (Plaisir d’amour en Iran) à Cuba (Salut Les Cubains), a aussi, aménagé, dans ses films, des espaces de repos, des abris : la petite cour fleurie de sa maison rue Daguerre (« ma base » comme elle dit) toujours dans Les Plages d’Agnès, la vétuste tente de Mona dans Sans Toit, Ni Loi, la coque vide d’un bateau où l’on se réfugie comme dans un nid dans La Pointe Courte ou encore le grenier et atelier de confection du petit, et déjà cinéaste, Jacques dans Jacquot de Nantes.
De refuge, c’est un peu ce dont il est question dans sa nouvelle expo : « Ce qui me plaît, c’est les cabanes. Tous les enfants font des cabanes, les adultes aussi parfois. J’aime l’idée qu’on s’est construit un petit coin où l’on se sent chez soi. » Hier, samedi 26 mai, Agnès Varda était de « perm » à la Galerie Nathalie Obadia : « J’ai dit que je ferai un peu de présence. Je viens de temps en temps le samedi pour être sympa » dit-elle en souriant. Pour être sympa, mais aussi parce qu’on sent que ça lui plait : attentive à chaque visiteur, touchée lorsqu’une dame vient lui dire son admiration, s’approchant d’un petit groupe pour expliquer l’une de ses oeuvres et nous demandant, à plusieurs reprises au détour d’une discussion, « C’est beau non? »
Recyclage artistique
C’est dans un beau bâtiment au plafond de verre, au coeur du Marais, que trône sa nouvelle cabane de cinéma aux murs de pellicules. Ça n’est pas la première fois que l’artiste-cinéaste-photographe (« J’aime bien dire que j’ai trois vies en une ») réalise cet exploit. En 2009 déjà, elle confectionne un abri semblable, réalisé à partir des bobines de son film Les Créatures, avec l’aide du scénographe Christophe Vallaux « un type formidable avec qui je fais toujours mes constructions. »
Cette fois-ci, ce ne sont plus les beaux visages en noir et blanc du couple Deneuve-Piccoli qui ornent les parois de l’habitation, mais les tournesols jaunes vifs, les arbres au vert chatoyant et les chemises bleu pâle du personnage de son film Le Bonheur (1965), une histoire d’amour utopique et tragique, dissimulée sous les couleurs et la douce légèreté de l’été. Ce sont d’ailleurs ces gros tournesols, tout droit sortis d’un Van Gogh et qui ouvrent le générique du film, qui lui ont donné l’idée de créer une cabane à partir des images du Bonheur : « Après l’avoir déjà fait avec Les Créatures, je me suis demandée avec quel autre film je pourrais refaire ça. J’ai tout de suite pensé au Bonheur, aux tournesols. » Mais c’est aussi en tant que glaneuse hors-pair et en constatant l’amas de bobines entassés dans ses stocks, que Varda a pensé à cette installation : « L’idée amusante, c’est celle du recyclage. C’est un recyclage artistique, entre guillemets, car on ne va pas moudre les films pour en faire du vernis à ongle! »
Donner une seconde vie au film en somme, mais aussi célébrer – comme elle l’a toujours fait – ce qui est destiné à disparaître. Ici, ce n’est plus la peau usée d’une patate (légume qu’elle a filmé dans Les Glaneurs et la glaneuse et auquel elle a consacré une expo Patate Utopia), ses mains vieillies et tachées ou une photo presque effacée qui sont au centre de ses attentions, mais la pellicule 35 mm. Quand on l’interroge sur cette donnée, elle concède : « Oui, c’est un peu nostalgique. J’adorais le 35 mm, j’adorais le tripoter, ça avait une odeur particulière, maintenant on fait tout en numérique. »
Mais c’est bien connu, Agnès Varda n’est pas de ceux qui idéalisent et regrettent l’ancien temps : « Je ne vis pas du tout dans le regret. J’aime aussi beaucoup comment les choses se font maintenant. Mais je ne pouvais pas oublier ces copies. Ici, on les recycle, on les remet en beauté. Et cette juxtaposition d’une verrière sur une verrière me plait beaucoup. J’ai la chance qu’on me propose cette galerie. Et puis vous avez vu l’arche à l’entrée ? Ce sont les boites en fer qui ont contenu la pellicule. A l’époque, les films arrivaient en bobine de 300 mètres, chacune avait sa petite boîte. Toute à l’heure, une des monteuses qui a travaillé avec moi est entrée et elle m’a dit ‘je reconnais mon écriture!’ sur la bobine de Jane B. C’était de l’artisanat, on coupait, on recollait. »
A l’intérieur de la cabane, c’est un peu un jeu de piste. Il faut s’approcher tout près de la grande bâtisse de 2500 mètres de pellicule (la totalité du film) pour contempler les photogrammes. C’est d’ailleurs ce qui semble plaire à Varda : qu’au détour d’une image, les gens se souviennent, instantanément, d’un plan du film ou d’une séquence entière.
« Je ne suis pas encore un tournesol ! »
Quand on lui demande ce que raconte cette installation, elle dit, comme une évidence : « Je ne sais pas c’est ma cabane, c’est ma serre ! Je ne raconte pas. Cette cabane c’est une cabane d’enfant, c’est un peu de recyclage, un peu de nostalgie, mon amour des fleurs aussi. Je crée d’une façon évolutive, je ne fais pas un plan en prévoyant ce que je dois faire ou pas. »
Même type de réponse quand on l’interroge sur la séquence de fin des Plages d’Agnès où, au milieu de sa cabane des Créatures, elle concluait le film par « J’habite le cinéma » :
« Si vous vous trouvez dans une cabane de cinéma, vous êtes bien obligé de dire ‘j’habite le cinéma’. C’est comme si c’était mon adresse. Après, vous savez bien que les mots ont toujours des dimensions d’imagination et de réalité. Quand on dit qu’on habite quelque part, c’est une maison, alors en effet j’habite le cinéma. Evidemment, il y a une connotation rêveuse derrière ça qui est importante. Là, il se trouve que ce sont les tournesols qui y habitent, moi je ne peux pas m’y mettre, je ne suis pas encore un tournesol ! »
Seul hic de cette expo qu’elle aime tant, les quelques plantes placées au centre de la cabane sont factices « Je voulais mettre des vrais tournesols au milieu de la serre mais ça n’était malheureusement pas possible. Il aurait fallu aménager la galerie différemment. Mais bon, de toute façon, il s’agit d’une fausse cabane, alors on bien le droit de mettre de faux tournesols. J’aime ce jeu entre le vrai et le pas vrai… »
Glissement de sens
Le vrai et le pas vrai, la pellicule et le numérique, le documentaire et la fiction, la photographie et le cinéma… Agnès Varda a toujours aimé le mélange, le collage, agencer des éléments hétéroclites, transformer les objets, faire d’une pauvre patate un coeur, d’un gros camion d’autoroute un petit jouet que l’on pourrait saisir de sa main…
Dans la petite salle au fond de la galerie sont entreposées d’autres de ses oeuvres. Des maquettes miniatures de ses maisons de cinéma (« Nous avons redimensionné la pellicule en 9 et demi pour qu’elle corresponde aux proportions de ces petites cabanes. C’est de l’honnêteté, je crois beaucoup à la proportion des choses. »). Il y en a une en forme de tente pour Sans Toit, Ni Loi, il y a aussi les reproductions miniatures de celle des Créatures et du Bonheur… On trouve également quelques-unes de ses compositions photos, de grands cadres, aux bordures dorées et argentées « à la mexicaine » comme des volets composés de trois clichés : « Au milieu c’est ma fille Rosalie à 4 ans, et sur les côtés, ce sont ses mains maintenant. » Au fond de la pièce, une autre : « Cette photo date des années 50 elle est tirée en argentique. Les deux autres sur les côtés sont faites en numérique. Je les mélange. » Plus loin, le peintre Barcelo, dont elle admire beaucoup le travail et qui pose avec « de faux poissons dans son atelier », tandis que sur les extrémités de son portrait un bateau et un poisson apparaissent et se confondent : « J’aime l’idée que les poissons soient aussi des bateaux, et les bateaux des poissons. J’aime faire des glissements de sens facilement. »
Des glissements, des associations d’idées ludiques et encore du recyclage. Dans cette même pièce, de grands tableaux couleur mauve sont exposés. On ne reconnait pas tout de suite ce dont il s’agit et on comprend enfin que sous ces formes, se cache une séquence « très violente » de Sans Toit, Ni Loi dans laquelle Sandrine Bonnaire se fait violemment agresser par de « bizarres types ». Pour créer l’aspect délavé de l’image, qui ressemble bien plus à une peinture abstraite qu’à une photographie, la cinéaste l’a figée :
« En salle de montage, j’ai passé cette séquence au ralenti. Je me suis dit que j’allais prendre la 24e seconde de l’image. On l’a ensuite agrandi et à ce moment là, il n’y a plus d’histoire. Ce sont des images abstraites, il n’y a plus Mona, plus le récit. Il reste juste la violence. J’aime l’idée d’arriver à un esprit de violence, sans histoire autour. On passe une barrière, le film devient autre chose. J’aime ces réflexions entre cinéma et photo, rythme et ralenti, vitesse. J’aime décortiquer, déconstruire les impressions que l’on peut avoir sur un film en changeant son rythme, en passant du noir et blanc à la couleur, du mouvement à l’immobilité. »
Quand on lui demande si cette exposition n’est pas un condensé de son art, elle nous interrompt et rectifie : « Pas condensé, je ne suis pas quelqu’un de condensé. Je préfère dire les termes développer, s’étendre, ramifier. Ça n’est pas un concentré, ça n’est pas pour prouver ce que je sais faire. C’est juste que mon esprit vagabonde. »
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