On avait découvert le cinéaste portugais avec le fascinant Casa de lava, puis avec le nocturne et terrifiant Ossos, tourné à Fontainhas, bidonville cap-verdien de Lisbonne, et son splendide premier long, Le Sang, une rêverie en noir et blanc fiévreux qui évoquait aussi bien La Nuit du chasseur que Moonfleet. Il y a chez lui […]
On avait découvert le cinéaste portugais avec le fascinant Casa de lava, puis avec le nocturne et terrifiant Ossos, tourné à Fontainhas, bidonville cap-verdien de Lisbonne, et son splendide premier long, Le Sang, une rêverie en noir et blanc fiévreux qui évoquait aussi bien La Nuit du chasseur que Moonfleet. Il y a chez lui à la fois du Lang et du Straub, du Tourneur et du Hou Hsiao-hsien. Dans la chambre de Vanda n’est pas scénarisé comme l’était Ossos, il repose plus sur la mise en forme après-coup d’un matériau brut enregistré tel quel. La Vanda du titre, c’est Vanda Duarte, actrice principale d’Ossos, personne principale de ce nouveau film. Vanda semble passer la majeure partie de sa vie sur son lit où elle fume comme un pompier, s’envoie régulièrement un petit joint de came, tousse et crache comme une tubarde. Elle et son entourage vivent les petites histoires quotidienne et banales de n’importe quelle famille : complicité entre sœurs, dispute autour d’un poste de télévision’
Parmi les voisins, quelques hommes, jeunes et solitaires, qui se piquent, cuvent leur fix, font parfois le ménage dans leur gourbi, se racontent les derniers micro-évènements du quartier. Il y a ici peu de récit, nul rebondissement ou événement spectaculaire, juste la puissance fascinante du temps qui s’écoule, des gestes et des corps scrupuleusement observés, des sons et des voix méticuleusement captés, et l’étrange relation symbiotique entre des gens et un lieu au summum de la pauvreté et de la misère. Ces êtres étranges à nos yeux, comme privés de sève, de moteur et d’horizon futur, au regard parfois hébété, vidé par la drogue, ressemblent parfois aux zombies de Tourneur, aux morts vivants de Romero. Le film recèle la beauté de tous les films consacrés à un monde en train de disparaître. S’il y a beaucoup de misère dans la réalité que filme Costa, le cinéaste réussit à ne jamais trébucher dans le piège du misérabilisme ou du pathos, ou de l’esthétisation de surface et de l’édulcoration.
Costa ne demande rien aux personnes qu’il filme. Ces personnes sont irréductibles, irrécupérables, et Costa se « contente » de les regarder, ce qui, pour un cinéaste, constitue la plus belle preuve du respect et de l’amour qu’il puisse porter aux êtres qu’il filme. Autant qu’un choix esthétique, le plan-séquence fixe est ici sans doute un choix éthique, une façon de poser la caméra en dérangeant le moins possible. Mais la matière brute est aussi retravaillée.
En filmant en vidéo, le plus souvent la nuit ou dans des pièces sombres (Vanda est encore un grand film nocturne), Costa retrouve aussi, mais comme par hasard, une certaine picturalité : la source de lumière unique évoque quelques grands maitres anciens, de Rembrandt à de La Tour, les visages abîmés font resurgir Goya. Toute la force, l’intérêt et la beauté de ce film réside dans ce paradoxe entre enregistrement brut et travail de la matière, contemplation pure et dramaturgie du plan, cohabitation permanente d’une objectivité apparente et d’une subjectivité profonde.
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