En adaptant un polar américain, le cinéma de Bertrand Tavernier puise une vigueur nouvelle.
S’il y a une chose particulièrement aimable, voire admirable, chez Bertrand Tavernier, c’est l’authentique feu cinéphile qui l’habite. Cette passion a donné des ouvrages de référence (50 ans de cinéma américain, coécrit avec Jean-Pierre Coursodon, Amis américains, qui vient de ressortir chez Actes Sud), la renaissance de l’Institut Lumière, et d’inlassables séances et discussions attisant l’amour et la compréhension du cinéma.
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Dans nos pages, tout en louant cette facette de Tavernier, nous avons toujours été plus réservés sur son acharnement à vouloir réhabiliter à tout prix la “qualité française”, entre autres à travers ses propres films. Trop de câbles scénaristiques apparents, trop de psychologisme appuyé, trop de vouloir dire démonstratif, trop de volonté restauratrice d’un académisme que Serge Daney avait nommé “le cinéma des petits métiers”. Tout ça pour dire que Dans la brume électrique constitue à nos yeux une heureuse surprise. Le déplacement en Louisiane a fait un bien immense au cinéma de Tavernier, et la “qualité américaine” est sans doute plus désirable que la “qualité française”. Ici, pas de francité balourde, pas de message dénonçant tel aspect de notre société, mais des histoires, des paysages, des corps américains. Ici, Tavernier n’est pas l’épuisant Don Quichotte-citoyen, mais le lecteur-cinéphile entrant de plain-pied dans son cher cinéma américain, confrontant la réalité de l’Amérique, de son système de production, avec son imaginaire travaillé par les livres et les films. Adapté d’un bon polar de James Lee Burke (disponible chez Rivages/Thriller), Dans la brume électrique a une belle gueule d’atmosphère. Il y a bien sûr une histoire de crime, de corruption, de potentat mafieux local, mais ce n’est pas ce qui intéresse prioritairement Tavernier. Le cinéaste lyonnais semble surtout motivé par les beaux visages vieillissants de Tommy Lee Jones ou de Mary Steenburgen (tous les deux magnifiques), par la musique et les mains baguées de Buddy Guy (superbe présence tant comme acteur que guitare en pognes), par le son de la langue américaine et de ses accents sudistes, par le goût des écrevisses et de la bouffe louisianaise, par la cinégénie irrésistible du bayou – ses saules pleureurs, ses eaux vertes et ses légendes flottant dans l’air poisseux.
C’est un film de sensualiste, qui aime prendre son temps, humant les lieux, les couleurs, les odeurs, scrutant les fantômes littéraires, cinématographiques et musicaux de la région. Cette propension à flâner dans les chemins buissonniers de son scénar, quitte à s’éloigner de la ligne droite du pitch policier, n’a paraît-il pas plu aux producteurs américains. A nos yeux, c’est précisément cette nonchalance de promeneur à l’affût de la moindre vibration d’un monde lui étant à la fois “étranger” et familier qui fait le prix de ce film. Les braises américanocinéphiles de Tavernier y rougeoient tranquillement mais chaudement.
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