Fidèle alter ego de Tim Burton mais aussi auteur du thème des Simpson, le compositeur Danny Elfman a toujours participé activement aux réussites esthétiques de son cinéma. Depuis quinze ans, ce singulier créateur d’univers lui offre ses musiques merveilleusement hantées, à mi-chemin entre la réalité et l’imaginaire, le rire et l’épouvante, la marge et l’establishment.
Le compositeur Danny Elfman pourrait être le jumeau caché de Tim Burton. Une affinité secrète semble fonder leur complicité esthétique quasi indéfectible brisée le temps du seul Ed Wood. Un moment, on s’est même plu à penser que cet homme-elfe était un double inventé par Burton lui-même, un monstre tout droit sorti de sa caboche ébouriffée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mais Elfman existe bien. Il est âgé de 46 ans, vit du côté de Los Angeles et disparaît régulièrement de la surface de la terre : dès qu’un réalisateur lui commissionne une musique, cet homme discret se retranche pendant des semaines dans son labo installé en sous-sol. « La lumière du jour me rend malade et léthargique, a-t-il déclaré au LA Times. J’ai du sang de vampire dans les veines. »
Du sang d’enfant, aussi. Celui d’un gamin chahuté pour sa délicate complexion, qui s’est bâti tout un univers dans les chantiers de la solitude, qui s’est échappé dans des rêveries sans fond, noires et brillantes comme des obsidiennes. Un tendre barbare qui, dans la cave de la maison familiale, s’est amusé à bistourner Hendrix ou les Doors avec des instruments rouillés. Un doux songeur très tôt étourdi d’images et de sons, trouvant refuge dans un cinéma de quartier, se tordant le regard à coups de séries Z et de films de science-fiction fauchés. Elfman aura eu l’esprit vagabond de ceux qui rêvent d’abattre les décors du quotidien à l’orée de l’âge adulte, il ira jusqu’à arpenter une année durant l’ouest de l’Afrique, les poches vides, les yeux et les oreilles grands ouverts.
Tout son travail de musicien reposera sur cette façon de questionner le monde extérieur en le pliant à la démesure d’un vaste monde intérieur, d’un imaginaire peuplé d’ombres et de spectres rigolards. Lorsqu’il crée l’invraisemblable combo Oingo Boingo à la fin des années 70, c’est pour mettre le rock sous l’emprise de malicieux maléfices, confronter les synthés de l’ère post-punk à une section de cuivres épileptiques, inventer des gigues macabres où l’humour et la paranoïa s’empoignent de bon c’ur, broyer du noir pour finir mort de rire.
Rien d’étonnant à ce que Burton, tombé sous le charme, contacte Elfman au moment de réaliser Pee Wee’s big adventure : il tient là l’alter ego idéal, capable comme lui de diffracter la réalité à travers quelques prismes déformants de sa fabrication. Venant de loin et de profond, les musiques hantées d’Elfman participeront activement au discours obsessionnel de Burton sans jamais subir sa loi : quelle que soit l’aventure dans laquelle il se trouve entraîné, le compositeur engage toujours sa propre cargaison d’idées fixes et grinçantes. Les deux volumes de la remarquable compilation Music for a darkened theater en auront fourni la preuve : que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’univers burtonien, sous les masques des styles ou derrière les figures imposées des musiques de commande (Mission : impossible, Men in black, Les Contes de la crypte…), les musiques d’Elfman affichent des personnalités si singulières qu’elles supportent même aisément d’être appréhendées sans le soutien de l’image.
Reste que c’est dans sa relation symbiotique avec Burton qu’Elfman aura signé ses plus térébrantes réussites. Doté d’une écriture extrêmement ludique, l’Américain est capable de faire perdre la boule à tout un orchestre. Epaulé par le brillant arrangeur Steve Bartek, ex-guitariste d’Oingo Boingo, Elfman a dirigé des jeux musicaux à la perversité insidieuse, des bacchanales baroques qui dévoient les canons du romantisme hollywoodien, les violonades stridentes d’un Bernard Herrmann, le génie mélodique tarabiscoté d’un Nino Rota.
Insolemment doué, il s’est payé le luxe de dépoussiérer les codes musicaux des films d’action (les deux Batman), des films d’horreur (Beetlejuice), des mélos (Edward aux mains d’argent). Il s’est même permis de renouveler tout ça à la fois dans ce musical du troisième type qu’est L’Etrange Noël de monsieur Jack : une sarabande poétique qui envoie paître Broadway dans un merveilleux pays d’épouvante, où semblent danser les silhouettes fantomatiques de Kurt Weill, de Scott Walker, du Grieg de Peer Gynt ou de Spike Jones.
Par comparaison, la bande-son de Sleepy Hollow est plus prévisible et illustrative même si, au son d’un orgue d’église, on l’entend sceller d’étranges rencontres entre des chœurs d’enfants et un aréopage de violons. Son classicisme éprouvé met au jour un autre point de convergence entre Elfman et Burton : derrière leur acharnement à apposer une empreinte qui leur soit propre, les deux hommes vibrent d’un même désir éperdu de reconnaissance.
Elfman n’est pas sans rappeler Matt Groening pour lequel il a composé ce chef-d’ uvre tachycardique qu’est le thème des Simpson. Transfuge de la contre-culture américaine, il est cet enfant de l’ombre qui, projeté sous les lumières artificielles de l’industrie du divertissement, s’attache à y faire ses preuves tout en essayant de ne pas y perdre son âme.
Copieusement bizuté à ses débuts par les professionnels de la profession, Elfman l’autodidacte atypique est devenu au fil des ans l’un des mercenaires les plus demandés du milieu cinématographique. Pour Danny aux mains d’argent comme pour Tim Burton, le combat contre la routine va probablement devenir de plus en plus serré.
{"type":"Banniere-Basse"}