Actuellement en salles, le « American Hero » de Nick Love n’en a que le nom. Buveur, fumeur, dragueur, ce loser doté de super-pouvoirs est un super-zéro. L’occasion de revenir sur les dix plus bels exemples de films de justicier différents, bis ou ovniesques, entre pop-art, black comedy et érotisme girly.
1917 : Judex de Louis Feuillade
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Faisant suite aux aventures rocambolesques de son Fantômas (1913), le feuilletonesque Judex de Louis Feuillade a la beauté naïve des serials d’antan. La nemesis du vertueux Judex est un félon banquier, répondant au nom de Favraux. De quoi faire du gentleman costumé un simili Robin des Bois défendant l’opprimé. Or, c’est la vengeance qui l’anime – sa lutte naissant d’un drame familial balzacien dont Favraux est la cause. Reclus dans son château comme Bruce Wayne, Judex en pleine première guerre mondiale prend la température du climat social, entre justice idéalisée et violence pulsionnelle.
Inoubliable sera sa relecture par Georges Franju en 1963, hybride entre la palette désuète des bds populaires et la modernité subversive de l’imaginaire fétichiste. La superbe Francine Berge, accrochée à la gouttière d’un toit, ses légers gants de cuir noir plaqués au rebord du précipice et son corps suspendu dans la nuit, conjugue par son seul corps Eros (sa tenue moulante mettant en valeur ses courbes sensuelles deveuve noire) et Thanatos (cadrage incisif sur son regard foudroyé par la peur). Bref, à mille pas des insouciantes Fantômette/Batgirl, elle préfigure la Catwoman de Tim Burton (Batman le défi).
1964: Batman Dracula d’Andy Warhol
https://www.youtube.com/watch?v=382FPwYcrKQ
Entre Sleep, Blow Job et Empire (trois de ses plus grands films), Andy Warhol nous a offert cet arty Batman Dracula. Balancé sans la permission de DC Comics, ce court-métrage en ses grésillements noir et blanc assume son côté pirate. Puisque totalement weird, ce film d’art et essai expérimental dévoile l’ambivalence de l’homme chauve-souris, nous plongeant au sein de son tortueux esprit tendant vers la folie. Au gré de surimpressions vertigineuses, les combats ne se font pas entre les individus, mais entre les plans, au coeur de l’image elle-même, comme une projection de l’inconscient. Psychédélisme, nous voici.
La Factory (lieu de tournage) devient alors la Batcave de Warhol, super-héros s’étant très tôt teinté les cheveux en gris platine afin que le choc soit moins brutal une fois la vieillesse atteinte – manière comme une autre d’être intemporel, et donc immortel, à l’instar des grandes icônes comics. Dès 1962, son collègue pop-artist, le peintre Mel Ramos aimait d’ailleurs esquisser à coups de pinceau Batman, Wonder Woman et Green Lantern, et le long-métrage Batman de 1966, ultra pop, marchera en retour sur les pas du publicitaire, de sa légèreté sucrée et de son goût prononcé pour l’esthétique chaude.
1969 : Mister Freedom de William Klein
Mister Freedom est un mix insensé entre Captain America, un quaterback acclamé par les pom-pom girls du campus et un grand gosse vulgaire qui se serait costumé le soir d’Halloween en achetant ses oripeaux dans un supermarché. A travers cette oeuvre délirante entremêlant Guerre Froide et américanisme triomphant, synthétisant une nation en ses pires clichés, entre patriotisme, consumérisme et culte religieux (drapeau étoilé, Coca Cola, Sami Frey en Christ), William Klein réalise finalement la seule adaptation – inconsciente – du Superdupont de Gotlib. Une satire gouachée à gros traits (le Président de la République Française a pour nom Super French Man) allant jusqu’à employer l’anar Serge Gainsbourg, tombé fou amoureux de ce projet ridiculisant l’Oncle Sam et sa propagande.
En une concision carrée comme les cases de bd, la mythologie comics est réduite à un défilé de bibendums triviaux et la France à quelques cartes postales épinglées sur une carte hexagonale. Lorsqu’à la fin de ce chaos comique Mister Freedom récite un discours reaganien, après avoir résolu de façon cataclysmique les conflits internationaux, son image est décuplée par une mosaïque de téléviseurs en fond visuel. En deux mots, Freedom n’est pas plus réel que ne le sont les soap operas ou les archétypes des comics Marvel. Il n’existe pas, c’est un super-zéro.
1980 : L’homme-puma de Alberto de Martino
https://www.youtube.com/watch?v=aMJaSK3Tv3c
« Plus vite que la lumière, plus fort que l’ouragan » proclame l’affiche. L’Homme Puma est un illustré kitsch délectable, qui en son imagerie spatiale évoque le Flash Gordon de Mike Hodges adapté des pulps d’Axel Raymond. Le machiavélique Kobras (Donald Pleasance en Lex Luthor de bis transalpin) s’empare d’un masque aztèque lui conférant toute-puissance. Un quidam, élu d’une peuplade de créatures mythologiques (les hommes-pumas) tente de le renverser par sa gestuelle de félin en faune. Les scènes d’envol du Superman de Richard Donner sont alors déstructurées façon puzzle, en une série de bonds maladroits répétés en boucle et ponctués de sonorités fanfaronnes très cinéma érotico-soft seventies. « Et si on faisait l’amour dans le ciel ? » / « Oh, Tony, on ne peut pas faire ça ! » / « Et comment crois-tu qu’ont fait les hommes pumas ?! ». …Quid de la sexualité du surhomme ?
1984 : Supergirl de Jeannot Swarc
A l’heure où les grosses machines se féminisent – entre Ghostbusters et Ocean’s Eleven – il est bon d’en revenir à l’origine. Supergirl est la cousine de Clark Kent, découvrant telle une touriste nubile la planète Terre et luttant contre une maléfique marâtre. Si bien que cette oeuvre boîteuse convergera volontiers vers le film de sorcellerie (s’affirmant en version ultra cheesy de Dr Strange), évoquant en son mysticisme grand-guignol le clip pompier de Total Eclipse of the Heart par Russel « Highlander » Mulcahy.
Supergirl n’est pas aussi charismatique que Bonnie Tyler ou la voluptueuse Linda « Wonder Woman » Carter, ses traits teenager préfigurant plutôt ceux d’Alicia Silverstone dans Batman et Robin. Si cette machine incongrue tend au kitsch très art-contemporain (Krypton est un entremêlement de tours et sacs en plastique), quelques instants demeurent cependant inoubliables. L’on nous rappelle ainsi que les évolutions du corps ado constituent une partie de la poétique comic-books, lorsque l’extraterrestre s’initie avec plaisir à la douceur de l’eau, les yeux fermés et l’air ravi, découvrant par-là même l’environnement moite des douches pour filles. Autre image sensuelle : la pureté virginale des traits de Supergirl, en phase avec la beauté de sa blondeur angélique, se voit violemment salie par deux écorchures rougeâtres et vaseuses pervertissant son visage édénique. Super héroine, super-érotique.
1994 : Blankman de Mike Binder
Blankman est un exercice de style parodiste estampillé Damon Wayans (Spoof Movie, Scary Movie). Surdoué et idiot du village à la fois, ce trublion rend justice dans son insalubre ghetto. De quoi détourner les codes de la « blaxploitation », ce courant communautariste développé à travers le cinéma d’exploitation des années 70. Paré d’un humour potache (un baiser entre l’héros et sa sexy Lois Lane black provoque l’éjaculation précoce d’icelui), cette comédie fait de l’oeil à son prédécesseur afroaméricain The Meteor Man. Fédérateur, Blankman annonçait le surjeu burlesque de Jamie Foxx dans The Amazing Spider Man II. Cette ode délurée au Black Power, quasi Dada (les engins saugrenus du personnage auraient pu être inventés par Marcel Duchamp), rend même hommage, à coups de BAM ! et ZOU ! colorés, à la série Batman des sixties, pierre de Rosette du ringard génial. Provenant comme Wayans du show In living Color!, Jim Carrey, que l’on surnomme éloquemment « l’homme au visage élastique« , se masquera à l’instar du Wayans bro’ dans Batman Forever et Kick Ass II.
1997: Orgazmo de Trey Parker et Matt Stone
Suite à leur musical gore Cannibal !, Trey Parker et Matt Stone (les créateurs de South Park) mettent à nu avec Orgazmo le milieu infernal de l’industrie pornographique, marché que les historiens intitulent « the other hollywood ». Le porn permet par liaisons d’incendier l’usine à rêves, ses roublardises, ses escroqueries, son hypocrisie, ses dirigeants grotesques qu’il faudrait renverser comme dans un illustré à dix cents. Ce film précurseur annonçait les indénombrables parodies des studios Woodrocket, chantre du pastiche pornographique façon Batman v Superman XXX. Y réside le même état d’esprit corrosif, cette dérision humoristique que l’on retrouve actuellement au détour des mèmes, du gif animé, la parodie porn du blockbuster super-héroïque s’inscrivant dans cette philosophie moderne du nul érigé en génie. Réside ironiquement à travers Woodrocket une certaine paresse intellectuelle et un opportunisme mercantile certains qui selon Parker et Stone constituent justement les traits de caractère du supervilain ultime : le producteur.
2014 : Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador
Ou quand Aquaman rencontre Alain Guiraudie. Au gré de décors naturels rappelant ceux du Roi de l’évasion ou de L’inconnu du lac, le mutique Vincent développe au contact de l’eau ses aptitudes surnaturelles, tel le demi-dieu Namor. Point d’air triomphateur à la John Williams ici mais une ritournelle à la flûte, comme celle que produisaient les Satyres près des lacs où s’ébattaient les jeunes filles en fleur. La cape bariolée du super-héros devient une nappe (aquatique) d’un bleu clairsemé, s’étendant en profondeur dans le cadre pour mieux figurer l’évasion permise par la condition de surhomme. A la dureté du corps-justicier, l’acier, se substitue la pureté élémentaire du minéral.
Les sempiternels envols libérateurs propres au justicier sont renversés verticalement et se font plongeons successifs, ponctuant la narration du film, un mouvement ascendant vers l’eau faisant office de transition d’un chapitre à l’autre. Le super-héros investit le sous-genre du réalisme magique, dont le principe est de nous faire accepter l’essence incongrue du réel. Un renvoi émouvant aux prestidigitations nationales de George Méliès, qui fut le premier cinéaste à mettre en scène cet éternel retour, à la fois propre au surhomme légendaire et au mouvement filmique.
2009 : Defendor de Peter Stebbings
Le renversement ironique des codes du genre, popularisé par Mystery Men dès 1997 et prolongé par Hancock et Ma super-ex, ne demandait qu’à être transcendé au sein de films indés à la liberté de ton intacte. Dans Defendor, Woody Harrelson incarne un justicier un peu fêlé, filmant ses actes de bravoure suicidaire par le biais d’une mini-caméra. On pense alors au 2.0 Kick Ass établissant la cam’ comme meilleur des gadgets – l’iconisation buzzesque de l’ado se faisant par le biais d’un téléphone portable. Cependant le comic-book est avant tout indissociable de la qualité émotionnelle des personnages. Ainsi, la lune plus qu’un clin d’oeil aux signaux célestes de Batman est le signe inconscient qui unit l’orphelin Defendor à sa mère (« peu importe où je serai, tu n’auras qu’à regarder la lune« ). De même cette plaie béante causée par l’absence maternelle a-t-elle été cicatrisée par l’effeuillement des pages des comics GI Joe. Autant d’éléments qui inscrivent la tonalité de Defendor dans la lignée de l’intimiste Incassable de M. Night Shyamalan.
2014 : Defender de Rakesh Roshan
Le blockbuster de super-héros est un proche cousin de la comédie musicale, nous souffle Bollywood. Exubérance sentimentale, hyperbole de la gestuelle, grammaire chorégraphique et cadrage dynamique, ces deux genres fusionnent au sein de ce succédané d’Endhiran et Eega. Atypique: l’ivresse naît moins d’une envolée aérienne que d’un acmé lyrique. Décolletés plongeants, protagoniste en collants affublé d’un mulet à la MacGyver, flamboiements de lumières, effets digitaux lorgnant vers le cartoon gélatineux (un déroulage de langue renvoyant au comic-book movie The Mask), ce troisième volet de la saga Krrish ne nous épargne aucune afféterie sensationnaliste, se concluant même sur des images de terres décimées façon Man of Steel.
Mise en bouche : en chute libre, le héros soutient un énorme bloc de building crachant des jets de débris enflammés, tout en se faisant rouer de coups par sa Némésis, essayant de ne pas écraser un bébé sous ses pieds. Un remake disproportionné à la Michael Bay de la séquence du landau du Cuirassé Potemkine.
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