Un portrait réaliste du monde du travail un peu gâché par un dernier acte trop conventionnel.
Le jeune cinéma d’Isabelle Czajka a des allures de fin de monde – très loin des fantasmes bohèmes que suggère le titre trompeur. Une manière un peu clandestine d’insinuer son pessimisme sourd dans des histoires classiques de middle class crisis ; de dévier ses chroniques naturalistes vers des motifs plus politiques.
Dans son premier film, L’Année suivante, c’était l’image d’Anaïs Demoustier errant dans les allées d’une Fête de l’Huma déserte, en plein deuil de son père – fervent communiste – et de ses idées de révolution.
Dans D’amour et d’eau fraîche, c’est le récit ordinaire de l’insertion d’une jeune diplômée dans l’enfer du travail. Une sorte de Rosetta du milieu, réminiscence de la figure des frères Dardenne dont elle partage le même appétit de revanche sociale, le même désir de “ne pas tomber”.
En quelques séquences âpres, Isabelle Czajka dresse le portrait lo-fi de cette jeune fille en lutte, à laquelle la fidèle Anaïs Demoustier prête ses traits rageurs.
Délesté de tout reflet psychologique, D’amour et d’eau fraîche se destinait a priori à suivre les rails confortables de la chronique réaliste (mise en scène quasi documentaire, narration vagabonde, etc.).
Mais comme l’héroïne du film, licenciée et contrainte à l’errance, le récit glisse brusquement à la marge. En écho au premier drame (intime) qui se noue, c’est toute la mécanique oppressive d’un système économique qui se met à l’œuvre (on se souvient des contre-plongées sur un ciel bardé d’enseignes publicitaires dans L’Année suivante).
Ici encore, quelque chose déborde du cadre : l’histoire se double d’une charge amère contre les dérives d’une société d’exploitation. Rien de neuf… Sauf qu’Isabelle Czajka a retenu la leçon de It’s a Free World! de Ken Loach, cette manière un peu désabusée de bousculer les lignes du cinéma social.
Ainsi ces plans désincarnés, très beaux, où Anaïs Demoustier se vautre in extenso dans la prostitution, reconduisant le schéma d’exploitation contre lequel elle luttait. Dommage, alors, que D’amour et d’eau fraîche n’offre comme unique remède à cette organisation du monde qu’un vieux mythe romantique.
C’est le personnage de Pio Marmaï, rebelle sans cause qui emmènera notre héroïne dans une cavale criminelle et libertaire. Un dernier sursaut narratif un peu artificiel qui, en plus d’extraire le film du jeu social dans lequel il s’épanouissait, repose la question galvaudée de la jeunesse au cinéma : aventure vs confort bourgeois.