Bon, jusqu’à fin juillet, la Cinémathèque expose dix photographes de l’agence Magnum traversés par “l’imaginaire cinématographique” (quelqu’un peut-il expliquer ce que cette formule peut vouloir dire ?). L’exposition a pour titre L’Image d’après. D’après qui ? D’après Antonioni, Tarkovsky, Wenders, Alan Clarke. Cinéastes traversés par un “imaginaire photographique” – si seulement une telle expression… On […]
Bon, jusqu’à fin juillet, la Cinémathèque expose dix photographes de l’agence Magnum traversés par “l’imaginaire cinématographique” (quelqu’un peut-il expliquer ce que cette formule peut vouloir dire ?). L’exposition a pour titre L’Image d’après. D’après qui ? D’après Antonioni, Tarkovsky, Wenders, Alan Clarke. Cinéastes traversés par un “imaginaire photographique” – si seulement une telle expression… On relit et on comprend que cette “image d’après” camoufle un “ensuite”. Un embrayage d’image. Quel numéro porte l’image d’après ? le n° 2 (réponse feignasse), le n° 24 (oh, la grosse vérité 24 fois par seconde), le n° 25 (la photo à la lèche du cinéma). Non : l’image d’après porte un numéro quelconque. A l’image, justement, de ces instants que le cinéma enchaîne sans les retenir, le mouvement libérant l’image de sa prégnance. L’image d’après, c’est une photo avalée par le cinéma. Et forcément chamboulée par ce passage à l’intérieur d’un vortex aussi violent. L’expo, pleine de mamours respectueux (je t’influence, tu m’influes…), a peu voulu voir que cet échange était aussi une défiguration. Pour voir la photographie sortir d’elle-même, il faut attendre la dernière station de l’exposition, ce coin obscur, un peu boîte noire un peu maison close où sont projetées les 21 minutes embryonnaires d’Aka Ana, un film qu’Antoine d’Agata a tourné seul à Tokyo à l’automne. On peut faire confiance à d’Agata pour porter seul la violence qu’implique ce changement de médium, et ce film est une déterritorialisation sans retour. Aucune photo de D’Agata d’ailleurs sur les murs de l’expo. Comme si le film les contenait toutes, le mouvement l’ayant désormais poussé vers l’autre frontière. Ici, ces sexes de femmes, contre lesquels il se cognait à l’infini, sont devenus des sexes qui parlent. “Toi, tu m’appelles Iku mais mon vrai nom est…” Inverse du rituel de prostitution où on protège son histoire et son intimité à coup de prénom fictif, le film, par la force répétée de sept filles, laisse la vérité l’envahir. Derrière leur prénom, elles racontent la violence, l’amertume, le poids des corps, l’arrière-goût du sperme, la douleur, l’envie, l’oubli. Elles ne disent pas leur histoire (la dernière chose qui leur appartient) mais l’effet répété de vendre son corps, son image. Aka Ana est un voyage intérieur sans protection. On voit le fond, on l’entend. Vient la fin : une dernière fille… ses mots prennent presque le point de vue d’un garçon. Celui qui, quelques secondes auparavant, s’ébranlait est passé en elle, elle est passée en lui. Rilke parlait il y a longtemps d’une femme “tout entière tombée en elle-même”. D’Agata, armé d’une lampe de poche et d’une caméra, est parti l’y chercher. La photographie et le cinéma n’en sont pas revenus.
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