Où en est l’homosexualité en Chine ? C’est une des questions à laquelle le Forum des images s’est proposé de répondre en invitant l’activiste gay Cui Zi’En le week-end dernier dans le cadre du cycle « De Pékin à Taipei : 1000 visages de la Chine ». Rencontre.
C’est au Forum des images, dans une des pièces de vidéoprojection à la lumière tamisée, que l’on rencontre Cui Zi’En, figure de proue de l’activisme gay en Chine installé à Pékin, autour d’une bonne tasse de thé. Écrivain, enseignant, cinéaste, Cui Zi’En est venu présenter une fiction, Refrain, ainsi que deux documentaires, Night Scene et le fascinant Queer China, qui, sous ses airs un peu cheap, constitue une précieuse collection de témoignages sur la perception de l’homosexualité en Chine et son évolution. Le réalisateur n’y apparaît pas, préférant donner la parole à d’autres : « J’accorde énormément d’interviews en Chine. Or, si je suis le seul à en parler, ça revient un petit peu à la même chose que le communisme, comme Mao Zedong qui était le seul à parler de tout ».
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Dans Queer China, on apprend, entre autres, que les homosexuels s’appellent entre eux « tongzhi » soit « camarade », « un terme choisi pour donner un peu de fierté à la communauté » explique-t-il :
« En 1949 avec l’accession du Parti communiste au pouvoir en Chine, des mots ont été importés du japonais, comme « communiste », « révolution » mais aussi « camarade ». Ils n’existaient pas dans le vocabulaire de l’époque. Au début des années 90, à Hong-Kong, était organisé le festival du film homosexuel. Pour éviter d’utiliser le mot « homosexuel » qui était lié aux milieux scientifiques et académiques, et qui avait une connotation de malade, une lesbienne qui participait au festival a proposé d’utiliser « camarade ». »
L’utilisation de « tongzhi » est aussi, bien entendu, une façon de tourner en dérision le parti communiste. « Quand on regarde la structure du PCC, de l’armée, quand on regarde les photos, ce ne sont que des hommes, épaule contre épaule, qui défilent les uns derrière les autres, serrés les uns contre les autres, dans des relations intimes… »
Le documentaire inclut des extraits d’émissions télévisées consacrées à l’homosexualité, comme « Tell It Like It Is », diffusée sur Hunan TV, dans laquelle des homosexuels, dont Cui Zi’En, viennent faire leur coming-out télévisuel devant des spectateurs assez hostiles. L’un d’eux, interrogé par le présentateur, lâche, un poil gêné : « je déteste l’homosexualité. C’est vil. J’aime la culture chinoise traditionnelle« .
Ces émissions sont des cas isolés en Chine, où l’homosexualité est encore très largement tabou. Cui Zi’En raconte qu' »à partir de 2001, les chaînes de télévision chinoise se sont emparées de la thématique homosexuelle comme une sorte de défi contre le pouvoir exercé par le gouvernement en place. » La plupart se sont heurtées à la censure, ou ont été tout simplement supprimées. « En 2008, le gouvernement a interdit aux médias d’en parler. Seuls les médias anglophones y ont été autorisés, afin de donner l’impression au monde que la Chine était très ouverte sur cette question ».
Les œillères du gouvernement
Et qu’en est-il de la répression des homosexuels ? Le gouvernement chinois a préféré développer une stratégie à la logique effrayante d’absurdité, consistant à feindre d’ignorer leur existence, de se mettre de solides œillères en somme. Car si les homosexuels n’existent pas, plus besoin de les opprimer. Pour illustrer son propos, Cui Zi’En raconte une anecdote kafkaïenne. En 2007, il participait avec une amie lesbienne à l’Union internationale des homosexuels, à Genève. Lors d’une conférence, tous les représentants étaient encouragés à entrer en dialogue avec leur gouvernement. Son ami chinoise a donc appelé l’ambassade de Chine. Mais, quand elle s’est présentée comme lesbienne, elle s’est entendue répondre : « pardon ? Je ne comprends pas ce que vous dites, je ne connais pas ce mot ».
Cui Zi’En ne connaîtra donc pas, a priori, les joies de la résidence surveillée, à l’image de l’artiste Ai Weiwei ou du dissident Chen Guangcheng. « En les enfermant, le gouvernement sait qu’il en fera des contre-héros, et ça il ne le veut pas pour un homosexuel parce que pour lui nous n’avons pas cette valeur ». Et l’ouverture de la Chine à l’économie capitaliste et à la culture occidentale est, selon lui, loin de faire bouger les choses. « Notre modèle est plus le système américain que le système européen. La concurrence, la compétition priment avant tout. La stratification de la société en découle. L’homosexualité relève de la responsabilité de la personne, qui n’est pas assez compétitive. Ce n’est pas le problème de la société« .
Alors qu’en France, l’Assemblée nationale se prononce sur le mariage pour tous, en Chine, ce type de loi est loin d’être à l’ordre du jour. « Le mariage pour tous sera légalisé une fois qu’on en aura fini avec le parti unique. Dans le parti communique et dans le mot « camarade » c’est le mâle, la masculinité qui sont représentés, C’est un parti d’homme. C’est donc aussi quand on en aura terminé avec la société phallocrate... » estime l’activiste, qui place ses espoirs dans la jeunesse :
« Avec le changement de culture initié par Internet, on a vraiment l’impression que les vieilles personnes sont encore plus vieilles et que c’est une société de jeunes. Ils n’ont pas besoin de regarder la TV pour savoir ce qu’est l’homosexualité. Le web est assez censuré, il n’y a pas de films pornos, mais on peut obtenir des informations sur le fait que la France est en train de légaliser le mariage gay ».
Infatigable, Cui Zi’En a pour projet de lire une fois par mois sur Internet un document ou une œuvre ayant trait à la thématique de l’homosexualité. Il envisage aussi de tourner un documentaire afin de montrer que le terme « tongzhi », qui symbolise trop la domination masculine à son goût, a atteint ses limites. Il propose de le remplacer par « ku er » (« queer » en chinois). « Tongzhi » est aussi, pour lui, trop associé dorénavant à des homosexuels non-activistes, qui ne luttent pas pour défendre leurs droits et refusent souvent d’aborder des sujets touchy comme les mariages de façade. L’activiste assure, aussi, que certaines organisations homosexuelles chinoises, présidées par une seule personne, sans qu’aucune élection ne soit organisée, ne se sont crées que pour récolter des fonds internationaux destinés à la lutte contre le Sida, et sont donc corrompues jusqu’à la moelle. « J’aimerais monter sur pied une organisation chargée de surveiller le fonctionnement de ces ONG » explique-t-il en lâchant le même petit rire qui est venu ponctuer chacune de ses phrases durant l’interview.
Queer China, « Comrade » China sera rediffusé le 24 février, Night Scene le 22 et Refrain le 14, au Forum des images (Paris).
Merci à Lenaïck Le Peutrec pour la traduction du chinois.
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