Lorsque le réalisateur mythique et le couple de stars le plus célèbre du cinéma contemporain décidèrent de travailler ensemble, chacun savait qu’il s’engageait dans une longue aventure, pleine de risques et d’inconnues. Tom Cruise et Nicole Kidman en racontent l’excitation et la réussite.
Quand le tournage a commencé, en 1997, les trois étaient devenus virtuellement inséparables. Le plateau des studios Pinewood, à l’extérieur de Londres, est devenu leur nouveau chez-eux, loin de chez eux. L’appartement du couple dans le film était conçu sur le modèle d’un appartement que Kubrick avait eu à Manhattan, mais c’est Kidman qui a choisi les livres, la couleur des stores, et elle a même disposé sur la table de nuit de la monnaie, comme Cruise a l’habitude d’en laisser chez eux. Et puis elle y a aussi disposé ses objets à elle, laissant son maquillage dans la salle de bains, éparpillant ses vêtements sur le sol. « C’est pas très rangé », glousse-t-elle, invitant les spectateurs à découvrir ses habitudes privées. Cruise précise : « A la fin, on avait l’impression de vivre sur le plateau. On a même dormi dans le lit. » Lorsque Kubrick a filmé Cruise et Kidman dans la scène de nu qui ouvre le film, il a fermé le plateau et tenu lui-même la caméra, intensifiant ainsi l’intimité qui existait entre eux trois.
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Entre les prises, Kidman, qui à l’époque du lycée dans son Australie natale était passée maître dans l’art de la discussion, s’asseyait en robe de chambre et bigoudis sur le sol du bureau encombré de livres de Kubrick, pour parler politique. « Je le remettais en question et il adorait ça, dit-elle. C’était génial de travailler avec quelqu’un avec qui on pouvait avoir de grandes discussions. Il pouvait changer votre manière de voir le monde. »
Le rythme de travail sur ce projet à 64 millions de dollars était lent.
« Stanley ne se pressait pas, raconte Kidman. Le temps était ce qu’il y avait de plus important pour lui. Il était prêt à renoncer à certains extérieurs pour économiser de l’argent, mais pas à sacrifier du temps. »
Obsédé de perfection, Kubrick a plusieurs fois récrit le scénario au cours du tournage, faxant parfois les modifications aux deux stars, souvent jusqu’à 4 h du matin.
« Stanley savait que c’était comme cela qu’il travaillait le mieux. Il n’était pas indulgent », dit Cruise. Mais il y a quand même eu des moments où ils se sont demandé dans quoi ils s’étaient embarqués. Kidman raconte : « Parfois, c’était très frustrant, parce qu’on se demandait « Est-ce que cela va finir un jour ? » Ce tournage à rallonge, et le sujet de l’intrigue, a au bout du compte physiquement coûté à Cruise. C’est à contrecoeur qu’il parle de son ulcère, craignant les inévitables gros titres « Kubrick a donné un ulcère à Cruise ! » , mais il confie qu’une nuit, au tout début du tournage, il s’est réveillé très tôt, avec une douleur terrible. « Je ne voulais pas le dire à Stanley. Il a paniqué. Il voulait que ça fonctionne, mais on joue avec de la dynamite quand on est acteur. Des émotions surgissent. On essaie de ne pas se laisser bouffer, mais on vit des trucs qu’on ne peut pas contrôler. »
Kidman a vu la pression monter.
« Tous les deux, nous devions affronter la jalousie et le sexe c’était toujours là, dans un coin de notre tête. Nous avons tourné pendant dix mois et demi mais sommes restés là pendant un an et demi. C’était vraiment un drôle de truc d’avoir ça à l’esprit tout le temps, jour après jour. On ne s’en débarrasse jamais complètement. Stanley non plus. »
Les acteurs disent qu’il leur est difficile aujourd’hui de voir le film parce qu’ils avaient toujours été trois à se faire du souci et à comploter, mais ils sont résolus à défendre le dernier héritage de Kubrick. La scène de l’orgie, le point culminant du film, risquait de lui valoir une interdiction aux moins de 17 ans aux Etats-Unis.
Selon le producteur du film, Jan Harlan, Kubrick a compris qu’il devait opérer des ajustements pour contourner cette interdiction. Plutôt que de couper des scènes de son film, il eut l’idée de rajouter des personnages pour le public américain, avec une technique digitale, pour partiellement cacher les 65 secondes les plus explicites le reste du monde verra la version originale de Kubrick. « Il n’y a rien dans ce film qui n’ait eu l’approbation de Kubrick », jure Cruise.
Avant sa mort, Kubrick a choisi les 90 secondes terriblement suggestives de la première bande-annonce, où l’on voit Tom et Nicole nus se caresser. Il savait que tout le monde allait se demander « Le font- ils ou pas ? » Les Cruise ne pipent mot. « Stanley adorait l’ambiguïté », conclut Kidman.
Cathy Booth
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