Un film d’atmosphère noir et épuré, d’une constante audace formelle, signé par notre collaborateur Vincent Ostria.
Dans un décor de fin du monde, un jeune homme nommé Muinski (qui ressemble un peu à Daniel Day-Lewis) vit seul (ou presque) dans un appartement à la peinture écaillée. Il est dealer.
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Il reçoit un jour, emballée dans une sorte de gelée, une nouvelle drogue, toute noire, qui lui fait vivre un drôle de trip (joli rêve automobile). Il décide de tout arrêter, d’ouvrir une librairie.
Vous avez déjà vu ça, vous, dans un film, un délinquant qui veut tout laisser tomber et qui y parvient ? D’autant que la chef du réseau (admirable et ultrasexy Eva Ionesco) n’est pas commode du tout…
Nous vivons une époque assez étrange, où la confusion règne parfois parmi les amateurs de cinéma. Le dernier Festival de Cannes nous a ainsi révélé qu’un film clair comme de l’eau de roche tel le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul pouvait encore être considéré par certains journalistes de cinéma, près d’un demi-siècle après, disons, L’Avventura de Michelangelo Antonioni, ou trente-trois ans après Eraserhead de David Lynch, comme du cinéma “radical”…
Le cinéma singulier n’a donc pas le vent en poupe et c’est bien dommage pour notre collaborateur Vincent Ostria, qui sort aujourd’hui son premier long métrage, que d’aucuns jugeront “radical”, alors qu’il s’agit juste d’un cinéma qui a la modeste prétention de vouloir nous proposer autre chose que la messe hebdomadaire du mercredi.
Crime est un film d’atmosphère, sachez-le.
Une atmosphère qui oscillerait entre Dostoïevski, David Lynch, Béla Tarr, Tati, Franju, Melville, Kaurismäki, sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre, sans qu’un quelconque surmoi cinéphilique écrase le tout. Un truc pas très gai, certes, mais où planerait quand même une légère ironie qui lui donnerait un peps insoupçonné.
L’action (il y en a une) est policière, et on pense souvent, aussi, à l’un des chefs-d’œuvre de Robert Aldrich, Kiss Me Deadly, ce film noir à l’ambiance effrayante et angoissante où la science-fiction, le fantastique, la politique frayaient une voie unique, baroque et étrange dans l’histoire du cinéma.
Mais l’intrigue est si référencée qu’Ostria nous fait grâce de nous l’épargner dans ses moindres détails.
Tentons une comparaison : à la fin de sa carrière, Barbara, la voix usée, ne chantait plus qu’une parole sur trois, laissant à ses admirateurs le soin de remplir les vides, soit en chantant eux-mêmes, soit en se les remémorant.
C’est sur ce principe que fonctionne Crime (titre qui dit déjà beaucoup) : aujourd’hui où toutes les histoires de cinéma ont peut-être déjà été dites, seules quelques images, quelques sons suffisent à les évoquer, à les raconter, à les faire revivre par le spectateur, comme des pierres affleurant à la surface de l’eau pour nous permettre de lier le début et la fin d’une intrigue.
Grâce à un travail sur le son extrêmement expressif et précis, à un noir et blanc très cadré, et un usage suggestif du fondu au noir, Crime nous entraîne ainsi dans un monde parallèle et concomitant au nôtre, très cohérent et bizarre à la fois, comme une peau qui recouvrirait le réel, qu’on pourrait tout simplement appeler le cinéma.
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