“Crìa Cuervos” n’est seulement le film où l’on entendit Jeanette chanter “Porque te vas”. C’est aussi et surtout le film qui sonne le glas du franquisme.
Il est des films qu’on a peur de revoir. Trente ans après son succès international, qu’aurait donc à nous offrir Cría cuervos, dont on ne garde en mémoire, comme la plupart des gens, que quelques images et quelques sons : le visage souriant et désolé de Geraldine Chaplin et surtout, surtout, la chanson phare du film, interprétée par Cría cuervos film de Carlos Saura , Porque te vas (d’autant que depuis Cría cuervos, le cinéma de Carlos Saura ne nous a guère comblés). C’est donc la principale bonne nouvelle : Cría cuervos est un très beau et bon film, savamment, patiemment construit, qui nous introduit petit à petit, par des allers et retours temporels multiples, dans la psyché et la mémoire d’une jeune femme qui, en 1995, se souvient de son enfance, de la mort de sa mère puis de son père, de ce qui s’en suivit…
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Le visage de Geraldine Chaplin (qu’on a revue récemment chez Almodòvar dans Parle avec elle) est toujours là, interrogateur et fragile, un brin (Ingmar pas Ingrid) bergmanien dans la pose, mais il y a aussi et surtout celui, triste et intrigant, presque inquiétant (comme ceux des enfants dans les films fantastiques) d’Ana (Ana Torrent), la petite fille que fut Geraldine Chaplin enfant, qui ne distingue pas vraiment l’imaginaire de la réalité, habitée par les fantômes de son père général franquiste et de sa mère, pianiste de talent (également interprétée par Geraldine Chaplin), qui dut renoncer à sa carrière pour satisfaire les exigences bourgeoises de son fasciste de mari.
Tout cela, nous le découvrons peu à peu, ainsi que ce qui travaillait Ana : tel Archibald de la Cruz, le personnage du film de Buñuel, elle se sentait et se voulait coupable de la mort de ses parents. Mais au fond, ce qu’il y a de plus beau dans Cría cuervos, ce sont ses scènes muettes comme l’est la grand-mère d’Ana, et, en somme, ce qui n’y est pas dit du tout mais fièvreusement suggéré : la mort proche de Franco, donc la fin de l’ère franquiste, la maladie d’une vieille Espagne catholique et militaire, en train d’agonir dans les pires souffrances – celles dont elle est elle-même responsable -, laissant ses enfants marqués à jamais par les stigmates de la dictature.
C’est là que Carlos Saura frappe le plus fort. Alors, dans cet océan de détresse où Ana, avec ses grands yeux sévères et déjà adultes, n’a que son imaginaire, ses rêves de pouvoirs magiques pour ne pas se laisser noyer, quand soudain la vie semble surgir dans cette ambiance macabre, qu’Ana Torrent, désobéissant à sa tante, se met à danser avec ses deux sœurs sur porque te vas, alors on pleure.
Cría cuervos, de Carlos Saura
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