Au sein de la programmation 2008 de l’excellent festival portugais de Vila do Conde, Sam Taylor-Wood et Tsai Ming-liang ont joué la carte de l’échange de casquettes.
L’été dernier, nos pages se faisaient l’écho louangeur du festival portugais de Vila do Conde, de ses riches sélections de courts métrages comme de sa caïpirinha. Un an plus tard, l’édition 2008 a séduit par l’abondance de ses propositions, dont une dense sélection française et un ravissement en animation 8-bit, RGB XYZ de David O’Reilly, éprouvant, saturé, criard, volontiers ordurier, et sorte de transposition idéale d’une chanson de Crystal Castles à l’image de synthèse. Mais par-dessus tout, on y a goûté la manière d’interversion des rôles entre deux stars nineties : d’une part Tsai Ming-liang qui, plutôt que de donner des nouvelles de son projet français avec Jean-Pierre Léaud, se fendait d’une installation ; d’autre part Sam Taylor-Wood en train de virer cinéaste après sa contribution au porno collectif Destricted.
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Le film de l’artiste anglaise, Love You More, orchestre l’impensable rencontre entre un timide premier de la classe et une punkette décolorée, autour d’un 45t éponyme des Buzzcocks circa 1978. La freak et le geek en maraudent le dernier exemplaire et, pour faire front au désœuvrement, se défont de leur virginité au son du disque. Running gag : si l’urgence et le romantisme boutonneux de la chanson se prêtent à leur étreinte hésitante, sa durée en rompt sans cesse l’élan. Scansion ironique de la face A, qui s’achève et que l’on repasse sans cesse, qui dit combien Taylor-Wood a tout compris des Buzzcocks, leur discours amoureux d’orgasm addicts et leur poétique du coitus interruptus adolescent. Surtout, personne aujourd’hui, sinon Judd Apatow et Gus Van Sant, ne sait dénicher et filmer avec pareille délicatesse corps d’ados si beaux dans la nudité blême de leurs peaux tavelées de rougeurs ingrates.
Hors concours mais plus gracieux encore, le Lee Kang-sheng postado encore poupon croisé au cœur de l’installation de Tsai Ming-liang. Erotic Space adopte pour matière une intimité duelle – à la fois celle du cinéaste et celle de son œuvre – qui prend la forme d’un décor de sauna gay figuré dans l’exiguïté d’un caveau enténébré par un dédale de cabines où l’on entre, s’enferme et découvre toujours le même outillage : couchette rudimentaire, rouleau de papier-toilette et écran de télévision dont la lueur bleutée constitue l’unique et fragile éclairage. Y tournent en boucle de vieilles vidéos au caméscope d’un voyage en famille, d’éphèbes au travail sur un chantier en Malaisie, ou d’un interrogatoire très érotisé de Lee par Tsai.
Au bout de l’allée qui chemine autour de ces cellules, une glace murale. Tandis que l’on s’avance dans l’obscurité, elle prête à croire que la pièce est plus spacieuse, que l’on n’est peut-être pas là seul, et que l’on va droit au contact d’une ombre. Seul semblant de ligne de fuite, ce trompe-l’œil malicieux souligne moins qu’il ne pallie la claustrophobie du cadre, et laisse deviner quelle ampleur labyrinthique aurait pu prendre la chose offerte à un espace plus vaste. Mais, outre que cette étroitesse est chargée d’un sens – l’intime, ce lieu ténu, chimérique, accidenté et clos –, elle confère à l’installation l’instantanéité du single, et l’inscrit à l’échelle d’un festival où tout ce qui est court est roi.
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