Une histoire policière, mais aussi politique et sensible, éthique et esthétique. Avec une magnifique Catherine Frot.
Il faudrait faire un jour un dossier sur les deuxièmes films, beaucoup plus rares et difficiles à monter que les premiers films. Donner sa chance à un débutant, vierge de tout passé cinématographique, c’est fréquent. Lui permettre d’enchaîner et de confirmer, c’est plus compliqué. Quelques semaines après l’excellent Avant l’aube, voici donc le très beau Coup d’éclat. Et comme Raphaël Jacoulot, José Alcala a mis un certain temps avant de pouvoir enchaîner. Son âpre premier long métrage, Alex, date de 2005.
Entretemps, Alcala n’est pas resté inactif, signant un court (Frigo, en 2006) et deux docus (Les Sentinelles de Thau en 2009, Les Molex, des gens debout en 2010). Car si Coup d’éclat n’est que sa deuxième fiction, Alcala présente déjà une filmo conséquente (courts et docus) depuis ses débuts en 1987. Ce long préambule biofilmographique pour mesurer que le long métrage de fiction n’est qu’une partie du champ du cinéma, même si c’est la plus visible, qu’une carrière de cinéaste n’est pas toujours un tapis rouge et rectiligne, et que si le nom de José Alcala n’est pas familier au plus grand nombre, il est loin d’être un jeune cinéaste débutant. Toutes choses qui expliquent l’épaisseur politique, la maturité esthétique, l’humus de vécu et de réflexion perceptibles à chaque minute de Coup d’éclat.
Des titres comme Les Sentinelles de Thau ou Les Molex… indiquent deux éléments constitutifs du cinéma d’Alcala : une conscience sociale et un enracinement dans le sud de la France. Situé dans une ville portuaire indéterminée de la côte méditerranéenne, Coup d’éclat raconte le quotidien de Fabienne Bourrier, capitaine de police dont l’essentiel du boulot consiste à traquer clandestins et sanspapiers. Un jour, une de ses proies, prostituée de l’Est, décède (suicide ou règlement de compte mafieux ?), laissant derrière elle un enfant. Vieille fille solitaire et dépressive, la capitaine Bourrier est troublée par cette affaire…
Fabienne Bourrier, c’est Catherine Frot. Depuis la trilogie de Lucas Belvaux, on savait l’actrice capable d’exceller dans des rôles dramatiques. Ici, c’est peu dire qu’elle est éloignée de sa réputation de comique lunaire : usée, alcoolique, dure et triste, peu sympathique, son personnage oscille entre fliquesse hard-boiled à l’américaine et célibataire quadra burn-out comme on en croise tous les jours dans la France sarkozienne de 2011.
A travers sa trame policière, c’est bien sûr un tableau de cette France “invisible” au bout du rouleau que dresse José Alcala, avec subtilité, sans manichéisme. Il suffit de voir comment il filme ses policiers : faisant un sale boulot, certes, mais pas franchement épanouis et heureux de travailler dans un cadre tracé par la démagogie sécuritaire de nos dirigeants actuels. Mais le plus important dans Coup d’éclat, ce sont les solutions formelles.
Alcala (et son chef-op, l’excellent Laurent Machuel) a beaucoup travaillé sur le nocturne, l’obscurité, le flou, l’indéterminé, la suggestion. Parfois, on ne voit pas grand-chose dans Coup d’éclat, on distingue à peine les lueurs d’une usine, les contours d’un dock ou d’une raffinerie, des silhouettes menaçantes… Les gangsters sont réduits à des phares de bagnoles, des coups de feu, et ça suffit amplement. Non seulement cette leçon de ténèbres est magnifique, mais elle exprime parfaitement les incertitudes morales des personnages, la frontière pas toujours nette entre bien et mal.
Fabienne Bourrier n’est pas un bloc de vertu, juste un être faillible qui fait ce qu’il peut, comme nous tous, qui essaie de retrouver un peu de dignité et d’estime de soi dans des circonstances pourries. La beauté, la justesse, la valeur, l’éthique de Coup d’éclat réside peut-être justement dans l’absence de coup d’éclat. Le genre de deuxième film qui donne envie d’en voir un troisième.
Serge Kaganski
Coup d’éclat de José Alcala, avec Catherine Frot, Karim Seghair, Marie Raynal, Liliane Rovère (Fr., 2010, 1 h 32)