Festival défricheur, la nouvelle édition de Côté Court, fidèle à sa tradition, nous a offert un spectre large et riche du jeune cinéma d’auteur d’aujourd’hui ; l’occasion de mettre en lumière de belles découvertes, disponibles en ligne et gratuitement, avant le dévoilement de son palmarès samedi 27 juin.
Les héritières d’Hélène et Marie Rosselet-Ruiz
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Prendre la route sans en connaître le point d’arrivée. C’est par ce postulat aventurier que s’ouvre Les Héritières, film rangé dans la catégorie « fiction » mais que l’on imagine tricoté sur le bord du chemin, ouvert aux intempéries du réel, à ses illuminations et à ses improvisations. Dans ce road-movie, des sœurs (jumelles) s’embarquent dans une sorte de chasse au trésor qui doit les mener vers un héritage immobilier dont elles ne savent rien. Il faut aller le chercher, le voir pour le croire. Aux commandes de cette quête : Hélène et Marie Rosselet-Ruiz, anciennes étudiantes de la Fémis, réalisatrices et ici également actrices de leur propre film, inévitablement traversé de notes autobiographiques. La belle intuition des Héritières est d’abord de ne jamais réduire sa mission à un simple prétexte mais de l’envisager, au contraire, comme une urgence liée à la réalité de ses personnages, réalité financière fragile où chaque pièce dépensée est pesée. Evidemment en creux, c’est aussi l’histoire d’un lien indéfectible qui s’écrit, tendre et cruel auquel les deux comédiennes confèrent une vibrante émotion.
Panorama #5, à voir jusqu’au mardi 23 juin.
Va t’en tristesse de Marie-Stéphane Imbert et Clément Pinteaux
Passés eux aussi par les rangs de la Fémis, Marie-Stéphane Imbert et Clément Pinteaux ont déjà travaillé ensemble en 2017 sur Des jeunes filles disparaissent de ce dernier. Cette fois-ci, le duo partage pour la première fois la réalisation de ce film dont le titre traduit assez justement l’inquiétante et étrange beauté. Construit en deux blocs, le film entrechoque les quotidiens de deux jeunes filles solitaires, une petite blonde championne de boxe, une brune amochée par une histoire d’amour récente. Rien ne semble vraiment les lier pourtant entre les deux, les images circulent et tissent, sans en avoir l’air, des connexions quasi sensorielles, des trompe-l’œil et des jeux de miroirs où frémit un spleen adolescent.
Fiction #5, à voir jusqu’au mercredi 24 juin.
Champ de bosses d’Anne Brouillet
Troisième court-métrage de la réalisatrice et scénariste Anne Brouillet (coauteur notamment du très beau Daniel fait face de Marine Atlan, ici directrice de la photographie), Champ de bosses est un récit d’apprentissage adolescent – tradition comme par essence dévolue au format court, haut lieu méta des premières fois. Dans ce paysage riche et maintes fois exploré, Anne Brouillet trouve une place singulière. Elle inscrit les mouvements de cœur de son héroïne dans une petite bourgade alsacienne, comme désertée par le monde adulte et perchée dans la brume des montagnes. Là, l’époustouflante Lise Leplat Prudhomme, ayant troqué l’armure de Jeanne (Bruno Dumont) pour un blouson en jean, fait la rencontre d’un garçon, trébuche et se casse le nez, petite parcelle de son visage qui devient son obsession et catalyse ses peurs. Extrêmement habile dans son déploiement, et par endroits troué d’indices pour mieux faire éclore l’émotion (une étreinte entre une mère et son enfant), le film saisit l’intériorité de son personnage à travers l’auscultation de son décor menaçant. Chronique adolescente mâtinée d’une touche d’horreur, Champ de bosse est un conte moderne, sorte de variation autour du Petit Chaperon Rouge – mais ici, heureusement, les monstres n’existent pas.
Fiction #6, jusqu’au mercredi 24 juin.
L’ami de vacances d’Antoine Du Jeu
Qui se cache derrière ce titre Rohmérien ? Un jeune homme qui ne croit certainement pas aux chansons d’été et à la malédiction de ses flirts éphémères. Aurélien débarque à Paris chargé de lourdes valises dans l’espoir de retrouver son amour de vacances. Mais Fanny, elle, connaît bien la chanson. A Paris, sa vie est déjà pleine (un copain, des études) mais elle accepte que l’éconduit s’installe dans sa coloc pour un temps indéterminé. C’est dans un territoire de cinéma aux contours bien distincts (Rohmer, Hong Sang Soo et surtout Guillaume Brac) que s’inscrit L’ami de vacances d’Antoine du Jeu, ancien critique aux Cahiers du Cinéma, un paysage peuplé d’anti-héros à la tendre maladresse – celle qui habite le corps de Quentin Dolmaire, formidable – et parcouru par les remous sentimentaux de jeunes gens modernes. A l’intérieur de cette famille cinéphile, le film a sa propre voix. Comédie délicatement loufoque, dont l’ingéniosité comique réside dans les détails planqués et les gestes infimes, L’ami de vacances est d’un charme et d’une drôlerie irrésistibles. Portrait cocasse d’une jeunesse d’aujourd’hui et de ses petites galères, le film, sous l’apparente gaieté de son atmosphère joueuse, aménage aussi des instants figés par une mélancolie foudroyante. Sa conclusion en est l’un des signes les plus émouvants, un nouvel horizon s’ouvre – peut-être le début d’un nouvel été ?
Panorama #10, jusqu’au jeudi 25 juin.
Sapphire Crystal de Virgil Vernier
Après le brûlant Sophia Antipolis, Virgil Vernier, grand habitué du festival de Pantin (il y était présent pour la première fois en 2009 avec Thermidor) est de retour au format court. Présenté au festival de Locarno en août dernier, Sapphire Crystal constitue la nouvelle pierre, étincelante, d’une filmographie habitée par un regard anthropologique sur notre contemporain, ses formes de représentation les plus actives et les plus ostentatoires. Si les personnages de Virgil Vernier balancent leur bagout d’aujourd’hui tout droit sorti d’une téléréalité, ils sont aussi, sous l’œil de sa caméra, des figures ancestrales, les reines et les rois d’un royaume perdu. Dans ce nouvel opus, ils sont riches, Genevois et sont les représentants d’une jeunesse dorée dopée à la coke et au champagne. Ce qui frappe à nouveau dans ce nouvel essai, c’est l’acuité stupéfiante avec laquelle Vernier brouille les repères figés de la fiction et du documentaire pour s’approcher d’une sorte de vérité immédiate et jamais condescendante sur ces modèles et êtres de fascination, traces vivantes d’un temps présent.
Fiction #7, jusqu’au jeudi 25 juin.
Mais aussi…
Autre réjouissante découverte de cette édition, le nouveau film de Louise Condemi, qui après une Tasse de chlore confirme avec Romance, abscisse et ordonnée son talent certain pour le teen-movie et l’élaboration complexe de personnages féminins confrontés à leur désir. Expérimentateur de génie, Bertrand Mandico est aussi de la partie cette année avec Extazus, une plongée toujours plus onirique et envoûtante dans le cerveau d’un vieil écrivain à l’imaginaire foisonnant et schizophrène puisque peuplé de guerrières sublimes prêtes à s’émanciper des griffes de leur créateur. En complément : Mandico et le TOpsychoPor, un court portrait du réalisateur des Garçons Sauvages signé Antonin Peretjatko.
Autres réjouissances de cette sélection, déjà repérés dans d’autres festivals cette année : le fascinant Clean with me (after dark) de Gabrielle Stemmer, construit comme un patchwork de vidéos montrant des femmes en train de faire le ménage, le revenge movie Massacre de Maïté Sonnet ou encore les souvenirs d’une amitié fanée à bord du Bus 96 de Louis Séguin.
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