Le retour à la fiction du grand cinéaste iranien, déplacé en Toscane. Un film d’abord décevant, mais dont l’étrangeté finit par entêter.
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A première vue, Copie conforme est un beau film un peu décevant, qui donne le sentiment que la singularité kiarostamienne s’est diluée au contact d’un projet international, de paysages géographiques et humains aussi célèbres que la Toscane et Juliette Binoche.
L’atmosphère de villégiature culturelle chic, l’ombre portée de classiques comme L’Avventura ou Voyage en Italie ne sont évidemment pas désagréables, mais véhiculent une sensation de déjà-vu qui ne correspond pas à ce que l’on attend d’un cinéaste aussi innovateur qu’Abbas Kiarostami. Mais à seconde vue, Copie conforme s’avère plus complexe, retors, subtil qu’il en avait l’air.
D’abord, certains invariants kiarostamiens sont toujours présents, même s’ils sont disséminés dans un univers nouveau pour le cinéaste : un long trajet en voiture où le véhicule s’apparente à une petite machine-cinéma, la citation d’un poème persan sur la mort, l’attention aux paysages, aux vieilles pierres et aux personnes croisées en chemin, ce qu’on pourrait appeler son “goût de la cerise”. Kiarostami se renouvelle en restant lui-même.
Ensuite, tout au long de cette balade d’un homme et d’une femme en Toscane, c’est la femme qui décide : elle contacte l’homme, conduit la voiture, choisit leur destination, le musée qu’ils visitent.
C’est encore elle, grâce à l’alliance involontaire d’une tenancière de café, qui amorce un basculement à la fois brutal et subtil, étonnant, mystérieux, à mi-chemin du film (basculement que l’on ne décrira pas, afin d’éviter les spoilers) : la femme est la scénariste, metteur en scène du couple, les femmes sont les deus ex machina du film.
Venant de l’auteur de Ten, c’est tout sauf anodin. Kiarostami réaffirme subtilement son féminisme à la face du régime iranien machiste et de la culture du tchador.
Dans cet ordre d’idée, les longs plans sur le visage de Juliette Binoche valent infiniment mieux qu’un rappel involontairement ironique du sketch de Valérie Lemercier aux César (“She cosmetics”), ils ont valeur de proclamation sensuelle et politique. Sous ses airs de classique film de couple, Copie conforme est beaucoup plus engagé et séditieux une fois replacé dans le contexte de la nationalité du cinéaste.
Mais revenons sur le twist central du film, virage inexpliqué jusqu’à la fin, laissant le film ouvert à diverses lectures. En passant de la stratégie de séduction à la fausse-vraie (?) tragicomédie de remariage, Kiarostami concrétise dans le matériau même de son film la question au départ très théorique sur l’original et la copie. Les histoires d’amour peuvent-elles se reproduire, ou se recopier ?
Dans le jeu de la séduction, jusqu’où peut aller la théâtralité, la fiction, la mise en scène ? Où finit le vrai et où commence le faux ? Les femmes sont-elles les démiurges absolus de l’amour, jusqu’au point où une parole peut transformer la réalité ? Ce sont quelques-unes des belles questions de vie et de cinéma que pose ce film somme toute assez passionnant.
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