Tous en scène. Robert Altman revient en forme et livre son meilleur film depuis Short cuts, en retrouvant son regard documentaire et son goût pour le théâtre. Pour Robert Altman, tout est devenu affaire d’équilibre. Sa période d’auteur tout-puissant étant définitivement derrière lui, et ses chefs-d’oeuvre aussi (John McCabe, Le Privé, Thieves like us, auxquels […]
Tous en scène. Robert Altman revient en forme et livre son meilleur film depuis Short cuts, en retrouvant son regard documentaire et son goût pour le théâtre.
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Pour Robert Altman, tout est devenu affaire d’équilibre. Sa période d’auteur tout-puissant étant définitivement derrière lui, et ses chefs-d’oeuvre aussi (John McCabe, Le Privé, Thieves like us, auxquels il faudrait sans doute rajouter California split, si ce film cessait d’être seulement mythique pour redevenir visible…), il se lance dans des aventures parfois risquées, parfois absurdes : refaire Nashville avec Kansas City, se soumettre au néant glacé de Prêt-à-porter, vouloir rendre Kenneth Branagh intéressant avec Gingerbread man. On peut penser ce qu’on veut des films d’Altman depuis son grand retour qu’était The Player et préférer la cruauté trop exposée de Short cuts à l’archéologie un peu vaine et ennuyeuse de Kansas City, par exemple , mais il serait absurde de nier que tous ses derniers films lui appartiennent, que personne d’autre que lui n’aurait pu les mener à bien (ou à mal), et qu’il reste un cinéaste vraiment singulier, vraiment important. C’est ce que nous disait Rivette il y a peu, Rivette avait raison. N’empêche que les films d’Altman étaient de moins en moins aimables, de moins en moins satisfaisants, l’homme semblant se complaire dans une détestation généralisée de ses semblables qui ne débouchait plus que sur des numéros d’acteurs et des intrigues plus ou moins mal ficelées. Surtout, les éléments avaient cessé de raccorder, Altman livrait des kits plus que des films, des projets séduisants plus que des réalisations convaincantes. Si Cookie’s fortune est son meilleur film depuis Short cuts tout en étant son reflet humaniste et apaisé , c’est que l’équilibre a été (re)trouvé. Chaque chose est enfin à sa place, prête à servir l’ensemble.
D’abord le regard, la conscience de devoir regarder et montrer avant de songer à démolir ou glorifier. A l’inverse de Gingerbread man, qui venait trop tôt après le film d’Eastwood (Minuit dans le jardin du Bien et du Mal) pour qu’on en tolère la version rapide et appauvrie, Cookie’s fortune sait se faire contemplatif pour saisir du calme plat, de l’immuable languide, du temps sans heurts, une routine étale, un ordre établi et accepté. Durant sa première demi-heure, où il ne se passe absolument rien en termes d’action, le film ne fait qu’installer des lieux et des personnages. Et là, dans le non-événementiel affirmé, Altman retrouve toute sa patte de grand documentariste. Rien ne semble forcé ou caricatural, tout existe, tout est donc prêt à fictionner. Après le suicide de la vieille Cookie, quand la grossière machination de la méchante héritière (Glenn Close, plus Cruella que jamais) se met en marche, plus pour révéler la capacité de réaction harmonieuse de la communauté que pour aboutir à une conclusion heureuse qui ne faisait guère de doutes, le récit policier et judiciaire embraye, les personnages s’agitent, mais sans que le film ne se désunisse et perde de son classicisme tranquille. Après avoir saisi les contours de la scène-ville où il va exercer ses talents d’observateur, une fois que la chronique a précédé la tentation de l’eau-forte, Altman retombe sur son autre pied ferme : le théâtre.
Plutôt que de se soumettre à des codes qu’il a grandement contribué à détruire, avant de se laisser piéger par leur retour en force (c’était tout le drame du film précédent), Altman préfère organiser un petit théâtre renoirien. En condensant toute la charge satirique sur le personnage de Glenn Close, il permet à tous les autres (même à l’évaporée jouée par Julianne Moore) d’échapper au typage et de jouir pleinement de la qualité des dialogues et de l’interprétation. Si le film est si drôle et si émouvant, c’est que l’emploi d’un théâtre subtilement dédramatisé (on est loin de Streamers) conduit Altman à un rapport apaisé avec ses créatures. Au lieu de les juger sévèrement, il leur accorde le droit à la faiblesse, à la paresse, à la vie à impact réduit. Laissés libres de tout plan démiurgique, ils ont la liberté de retourner à leur néant confortable. Mais il y a de la grandeur dans cette petitesse.
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