Deux séries d’entretiens entre le linguiste et le cinéaste illustrées par ce dernier.
Conversation animée avec Noam Chomsky appartient à la lignée buissonnière – la plus réjouissante – de Michel Gondry, celle qu’il s’autorise à emprunter régulièrement entre deux “gros films”. Après l’exténuant Ecume des jours et avant, espère-t-on, l’adaptation du monumental Ubik, le cinéaste s’est ainsi “offert” – c’est vraiment le terme – une conversation avec Noam Chomsky, le linguiste le plus important du XXe siècle.
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Pour Gondry, petit film n’est pas synonyme de moindre ambition : quatre années durant, il a illustré deux longues séances d’entretien de ses propres dessins, animés patiemment, feuille par feuille, dans la solitude de son atelier. Un travail de titan, qui frappe d’abord par son aboutissement plastique : à condition d’être sensible à ce type d’animation artisanale, le film est une splendeur visuelle, d’une densité parfois intimidante (il faut le voir en salle), mais à la hauteur de la complexité du discours de son interlocuteur – peut être trop d’ailleurs, on y revient.
Le savant, de sa voix grave et monocorde (pour tout dire envoûtante), répond ainsi aux questions candides du novice à l’accent frenchy, qui avoue à plusieurs reprises se sentir idiot, ou du moins incompris, du fait de la barrière de la langue… Gondry aurait pu enlever ces ratures, ne laisser entendre que les passages fluides. Or, non seulement il les garde – comme il laissait, par souci de sincérité, les faux raccords et les “erreurs” dans The We and the I –, mais il y revient sans cesse par la voix off : “Voici ce que j’ai voulu dire, voilà ce que je pense.” Si le film est animé, en outre, c’est que le procédé lui paraît moins manipulateur que la simple continuité dialoguée, du fait que le spectateur, selon lui, aurait ainsi conscience d’être devant la vision d’un créateur.
Profession de foi naïve – l’animation finit elle aussi par créer un effet de réel trompeur, ni plus ni moins que les prises de vues –, mais qui dit bien l’ambition de Gondry, la même que dans tous ses films : donner à voir l’intérieur de son propre cerveau. Dans l’opération, la pensée de l’éminent professeur y perd en clarté et finit hélas un peu cannibalisée par le flot d’images.
On peut s’en agacer, regretter que le cinéaste refuse de s’effacer devant son sujet, mais il a au moins la sincérité de ne pas avancer masqué : c’est une conversation, pas un éloge. Surtout, il offre à Chomsky, par des questions personnelles (sur son enfance, sur sa femme) auxquelles ce dernier répond pudiquement, ce qu’il sait le mieux faire : une communion miraculeuse.
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