Le cinéaste portugais se penche sur la « sublime matérialité » de la peinture de João Gabriel ; Félix Moati nous fait découvrir la photographe Hannah Starkey ; Hafsia Herzi nous parle de Miracle à Milan, l’un de ses films préférés.
João Pedro Rodrigues, réalisateur : Les toiles de João Gabriel
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Abril, águas mil” ou “avril, eaux mille”, dit-on au Portugal. Ce mois d’avril ne faisant pas exception, le tonnerre retentit dans les rues vides d’une Lisbonne confinée. Par ma fenêtre, l’orage laisse, par moments, le soleil éclairer mon bureau, et bouscule tout d’un seul coup, par un simple, mais violent, changement de lumière.
Il me semble que c’est ce que cherche le peintre João Gabriel : ces éclairs qui remettent en cause le monde, les paysages et les corps qui l’habitent. Il les capture dans des peintures extatiques de tournure classique. Ses images, il les retrouve dans de vieux films porno gay ou dans l’histoire de l’art ; c’est une peinture joyeusement figurative, riche de corps vibrants mais mutiques qui semblent jouer au jeu de l’amour, en même temps que touchés par la mélancolie de la mort.
J’ai rencontré João Gabriel en 2015, pendant le repérage de L’Ornithologue, il avait 24 ans. Il m’a été présenté par mon ami Philip Cabau, son professeur à l’Esad (Ecole supérieure d’arts et design) de Caldas da Rainha, une petite ville au nord de Lisbonne, où João habite et travaille toujours. C’est à Buçaco, une montagne tout près de cette ville, que j’ai trouvé les stations de la Via Crucis, où j’ai tourné une des scènes décisives de mon film. La sublime matérialité instinctive de la peinture de João m’a tout de suite bouleversé et, quand le film fut sélectionné à Locarno, je lui ai proposé d’en faire l’affiche ; personne d’autre pouvait ainsi représenter la transfiguration.
Hier, il a beaucoup plu à Lisbonne et, regardant par ma fenêtre, j’ai pensé à João, travaillant seul dans son atelier couvert de peintures inachevées, qui gagnent forme petit à petit, aux saveurs de la lumière et des couleurs qu’il trouve pour les éclairer.
Félix Moati, acteur et cinéaste : Photographs 1997-2017 de Hannah Starkey
J’aime cette photo. Je la découvre tout juste. Miracle d’un œil avisé – celui de Hannah Starkey, pas le mien –, miracle aussi de certaines images qui savent, dans un contexte donné, vous rencontrer.
Je ne sais pas si j’aurais vu la même chose il y a quelque temps. Je ne sais même pas si j’aurais su la regarder – je veux dire la regarder réellement. J’ose espérer que je ne suis pas le seul confiné à avoir la vertigineuse impression d’être pris dans un monde d’images toujours plus rapide et généralement toujours plus illisible et de ne plus rien voir vraiment.
J’aime donc cette photo que je découvre tout juste, par le miracle d’une « amie » avisée. Je la regarde – c’est-à-dire que j’essaie d’être attentif et précis, de ne pas hâter mon jugement, de ne pas la balancer d’un coup, comme les autres, dans le monde de toutes ces images trop vite vues, trop vite balayées, au profit de flux d’informations trop vite décrites et toujours aussi peu lisibles.
Et là, miracle, à nouveau cette image : moi, Félix, homme de 29 ans, je m’identifie à cette femme enceinte – à demi plongée dans une eau qui paraît fraîche, à l’ombre, elle s’est déjà un peu avancée vers la lumière, et semble regarder un dehors radieux auquel elle n’a pas accès, en attendant que ça passe…
Voilà, je crois qu’en ce je ne sais plus combientième jour de confinement, je suis cette femme enceinte anonyme, sans trop d’espoir, sans trop de peurs, qui attend que ça passe sans cette injonction étrange à réussir quoi que ce soit. Je regarde le dehors, ça a l’air beau, je m’avance vers la lumière et j’attends.
Merci Hannah Starkey.
Photographs 1997-2017 de Hannah Starkey (Mack, 2018) https://mackbooks.co.uk/products/photographs-1997-2017
Hafsia Herzi, actrice et cinéaste : Miracle à Milan de Vittorio De Sicca
Je recommande Miracle à Milan de Vittorio De Sicca, film sublime des années 1950 qui a d’ailleurs obtenu la Palme d’or au 4e Festival de Cannes en 1951. J’aime le revoir une fois par an et il me procure toujours autant de plaisir et d’émotions. Une histoire simple comme je les aime, mais prenante, avec l’allure d’un conte, des acteurs formidables et une grande mise en scène. Un grand film.
Miracle à Milan de Vittorio De Sicca (It., 1951, 1 h 32). Disponible en VOD sur LaCinetek, Arte Boutique, LoveMyVOD
Textes recueillis par Bruno Deruisseau
{"type":"Banniere-Basse"}