Volontiers lâche et dissimulateur, le spectateur s’impose quelquefois une mission au nom des secrets que le cinéma lui délivre. Secrets que l’on préfère garder pour soi, souvent, et secrets que l’on a envie de divulguer, parfois. Appliquée aux acteurs, cette partition semble guidée par un principe de justice. Les acteurs secrets, qui font de leur […]
Volontiers lâche et dissimulateur, le spectateur s’impose quelquefois une mission au nom des secrets que le cinéma lui délivre. Secrets que l’on préfère garder pour soi, souvent, et secrets que l’on a envie de divulguer, parfois. Appliquée aux acteurs, cette partition semble guidée par un principe de justice. Les acteurs secrets, qui font de leur réserve un principe plus ou moins volontaire de jeu, on les garde pour soi. Les acteurs dont le jeu n’a rien de cette réserve, mais qui sont condamnés au secret par l’injustice du cinéma – qui circonscrit certains talents au pire à l’invisibilité, au mieux aux seconds rôles –, on se doit de les faire connaître. Le cinéma français recèle peu d’acteurs secrets, spécificité plutôt américaine, mais beaucoup d’acteurs condamnés au secret. Jean-Christophe Bouvet par exemple, l’acteur de Vecchiali, Biette, Moullet, Godard et Pialat, dont le calme venimeux, lorsqu’il se retrouve par chance exposé au grand jour, échoue dans d’hideuses productions – les Taxi. Ou encore Philippe Duclos, homme à la face lunaire, à l’abondante chevelure blanche léonine, aux gestes mesurés, dont la douceur de la voix dissimule la moins innocente des préméditations. Ce sont deux comédiens que l’on peut croiser dans les films de Chabrol, le cinéaste qui, avec Mocky, est le plus inventif des directeurs d’acteurs français. Dans douze de ses films, on peut voir un jeune homme dégingandé avec le nez en trompette de Stéphane Audran et les sourcils méphistophéliques de Claude Chabrol. Rien d’étonnant, il est le fils de ses parents et s’appelle Thomas Chabrol. On l’a d’abord remarqué grâce à son sens funambule de la dérision qui, lors de ses entrées en scène, déleste les enjeux de leur poids conventionnel. Puis c’est sa double manière d’être très précis, avec sa diction assurée et la clarté évidente de son intelligence, tout en restant pourtant flou, comme s’il se ménageait la possibilité de s’échapper de la scène, qui finit par marquer la mémoire. Dans le dernier Chabrol, La Fille coupée en deux, en seulement deux mouvements, l’écoute professionnelle et le geste de la main effaré, il joue un avocat non dupe de ses clients. Son plus beau rôle est celui d’un parasite de luxe qui décide de mettre en veilleuse ses talents officiels pour devenir un lointain commentateur des vicissitudes de l’existence. C’était dans L’Ivresse du pouvoir, où il composait face à Isabelle Huppert le rôle d’un neveu confesseur. On peut deviner dans ce pouvoir en sommeil, dans cette intelligence désintéressée, joueuse et en retrait, l’idéal poste d’observation sociale selon Chabrol : mi-dehors, mi-dedans. Mais c’est aussi une définition de l’acteur condamné au secret qui, sans amertume, exerce distraitement son talent.
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