La symphonie du malheur. Une étrange malédiction frappe depuis trente ans les pianistes américains. Prendra-t-elle fin avec le prochain concert en France de Leon Fleisher ? Classique C’est un communiqué laconique qui nous l’apprend : le 18 février, Leon Fleisher donnera un concert de piano à deux mains au Théâtre de Montpellier. Il se trouvera […]
La symphonie du malheur. Une étrange malédiction frappe depuis trente ans les pianistes américains. Prendra-t-elle fin avec le prochain concert en France de Leon Fleisher ?
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Classique C’est un communiqué laconique qui nous l’apprend : le 18 février, Leon Fleisher donnera un concert de piano à deux mains au Théâtre de Montpellier. Il se trouvera bien quelques lecteurs insolents pour répliquer que ça leur fait une belle jambe, mais c’est là faire preuve d’un humour assez plombé doublé d’un manque élémentaire de curiosité. En réalité, le retour de Leon Fleisher au piano est un événement, une revanche sur le destin, un défi lancé à l’étrange malédiction qui s’abat sur le piano américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Né en 1928, Fleisher démarre une carrière brillante et devient, dans les années 50, l’un des pianistes préférés des chefs comme Szell ou Ormandy : en 1960 pourtant, une mystérieuse paralysie de la main droite met un frein à sa carrière et l’oblige à restreindre ses activités au seul répertoire pour la main gauche tout comme Paul Wittgenstein (le frère du philosophe), un demi-siècle plus tôt. Simple accident de parcours ? Voire. A l’époque où Fleisher perd l’usage de sa main, c’est tout le piano américain qui semble victime d’un obscur fléau. Le malheur qui s’abat sur cette génération fait assez penser à ce vieil épisode d’Amicalement vôtre où l’on voyait une dizaine de membres d’une même confrérie disparaître un à un dans des circonstances obscures (noyade dans une cuve à vin, électrocution, etc.). Vous voulez des détails ? Julius Katchen (né en 1926) a été emporté par un cancer à l’âge de 42 ans après avoir signé quelques-uns des plus beaux Brahms de l’histoire du disque. William Kapell (né en 1922) a péri dans un accident d’avion en 1953 à l’orée d’une carrière qu’on annonçait exceptionnelle (ses rares disques, fulgurants, en témoignent). Byron Janis (né en 1928) a mis l’Amérique et l’Union soviétique à genoux avant d’être réduit au quasi-silence par de furieuses crises d’arthrite (il est resté un pianiste assez mythique, marié à la fille de Gary Cooper, dont le retour est périodiquement annoncé). Gary Graffman (né en 1928) a développé une maladie articulaire qui l’a privé, lui aussi, de l’usage de la main droite. Simon Barrere (né en 1896) est mort en 1951 d’une hémorragie cérébrale tandis qu’il interprétait le Concerto de Grieg à New York. Van Cliburn (né en 1934), fêté comme un héros national à ses débuts, a progressivement sombré dans une sorte de gâtisme pianistique dont il ne sort que pour négocier régulièrement son retour à prix d’or (en vain semble-t-il).
Comme à toute hécatombe il faut un coupable, on s’est longtemps demandé si tout cela n’était pas le fruit d’une machination de Wanda Horowitz pour éliminer les rivaux de son Vladimir de mari. Théorie parfaitement paranoïaque, mais que semble accréditer la suprématie absolue d’Horowitz sur le paysage pianistique de l’après-guerre. Car faisons les comptes : de pianiste, il n’en resta qu’un et ce fut Horowitz seul dépositaire du style américain entre les années 50 et 80, seul à rafler la gloire et les contrats (le discret Serkin était un immigré autrichien et Glenn Gould était canadien). Evidemment, le retour de Fleisher casse un peu nos hypothèses on s’est monté le bourrichon, visiblement. Toujours est-il qu’il fait l’effet d’une mini-bombe et d’un revers historique tout à fait considérable. Même si l’on n’a pas attendu le communiqué montpelliérain pour saluer le talent de Fleisher, sa carrure imposante, l’énergie qu’il a toujours déployée à s’inventer de nouvelles activités (chef d’orchestre, pédagogue…) et à défendre un répertoire marginal.
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