Une relecture féminine et faustienne du mythe du Barbare, peuplée de succubes punk dans un univers d’acier. Jubilatoire.
Dans le cercle des enfers selon Bertrand Mandico, très loin du corps débordant de testostérone d’Arnold Schwarzenegger, Conan le Barbare devient Conann la Barbare. Les Barbares, en réalité : six actrices se succèdent pour autant d’époques de la vie d’une esclave adolescente et vengeresse dont on a décapité la mère, l’unique similitude observée avec le Conan de John Milius. Régulièrement, une nouvelle version de Conann, plus vieille de dix ans, vient assassiner la précédente. La barbarie selon Mandico, où la vieillesse tue sa propre jeunesse.
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Cette littéralité, le cinéaste la coud selon de sinueux mouvements de caméra à la grue. Se dessine alors un flottement fantomatique qui semble être celui des âmes damnées, observant la mue incendiaire et renouvelée du film. Conann est un royaume brûlé et cendré où se déploie la brutalité, qu’elle soit gore, punk, érotique, queer.
Un rêve sombre et tourmenté
Après Les Garçons sauvages (2018) et After Blue (2022), le dernier rêve de Mandico est ainsi son plus tourmenté, peuplé de succubes, de folies meurtrières, de pactes démoniaques et d’amour impossible. Il laisse cette farouche impression de désordre dans le cœur et dans le ventre, comme la marque qu’une langue de feu noir aurait laissée sur notre peau. Jamais très éloignée d’un romantisme adolescent, la violence semble ici sans compromission. Mais pour édifier le domaine du Malin, il faut du scotch et du fer.
Le lieu de tournage, une ancienne usine en démantèlement, devient partie intégrante du film, une force expressive. Endroit gigantesque segmenté en univers ayant leur propre écosystème, il est structuré selon les différents espaces de la fresque sanguinaire. Une rue de New York dans les années 1990, un temple antique, un champ de bataille, un bunker… tous ces territoires naissent par une artificialité du décor, un artisanat assez superbe baigné dans un noir et blanc poudreux, écorché.
Le film empruntant aussi bien à l’Orphée de Jean Cocteau qu’à l’heroic fantasy, il opère ses déplacements d’âges et de lieux avec des dispositifs renouvelés. Le conte segmenté et enténébré grouille, bouillonne, dégueule de ses propres mutations sauvages et cruelles. Et au milieu de tout, une imperturbable icône démoniaque, demi-déesse cynocéphale, enserre toutes les atrocités. Appareil en main, elle ne cesse de photographier les mort·es. C’est la beauté du pacte faustien selon Bertrand Mandico, son prix à payer : passer d’un monde à l’autre ne se fait pas sans dégâts, pour Conann comme pour nous. Il faut la mettre sous les feux des projecteurs, la barbarie est partout.
Conann de Bertrand Mandico, avec Elina Löwensohn, Christa Théret, Julia Riedler (Fr., 2023, 1 h 45). En salle le 29 novembre.
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