Sous son vernis classique, ce huis clos arctique nous convie à un voyage à travers la rencontre de deux solitudes.
Couronné par le grand prix ex æquo avec Un héros d’Asghar Farhadi, Compartiment n°6 faisait presque figure d’original dans le palmarès cannois en juillet dernier. Pas juste parce qu’on connaît mal son réalisateur, le Finlandais Juho Kuosmanen (gagnant du prix Un certain regard en 2016 pour un premier long, Olli Mäki), mais en raison d’une facture classique qui contrastait avec les très radicaux Le Genou d’Ahed et surtout Titane.
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Et de fait, on pouvait craindre, sur le papier, la promesse d’une fable au vernis un peu trop universel dans son désir de rapprocher deux êtres “que tout oppose” à bord d’un train parcourant la Russie.
On se méfie d’abord de ce froid trop froid de l’hiver moscovite, de cette héroïne trop sauvage pour être honnête, de son compagnon de cabine, un jeune ouvrier russe trop alcoolisé, pauvre et importun pour ne pas friser parfois la caricature.
Dans l’univers confiné du train
On apprend qu’elle, Laura, est une étudiante finlandaise en archéologie qui aurait dû faire ce périple avec son amante mais que celle-ci l’a lâchée. Ljoha, quant à lui, a des délicatesses anormales, une sensibilité qui le fait vriller en un instant, comme des explosions dans cet univers confiné du train. Voilà que soudain on est face à des humanités singulières qui nous intriguent.
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Le train est cette formidable capsule à huis clos qui contraint des inconnu·es, que la vie dans sa logique implacable sépare, à se rapprocher. Elle enferme des vents contraires qui forment des tornades – la lutte entre humains et morts-vivants dans Dernier Train pour Busan ou la révolte futuriste d’un sous-prolétariat contre le leader malveillant de Snowpiercer. Pas sûr que Laura ne voie pas en Ljoha – ses crachats, ses pets et ses rires démoniaques – une sorte de zombie, et réciproquement.
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Mais dans la nuit qui s’étire à bord du wagon-lit de plus en plus irréel à mesure qu’il s’éloigne du centre pour aller vers les confins, c’est autre chose qui se joue, comme une action souterraine à celle, visible, des chamailleries entre les personnages, celle-là même du mouvement et du trajet parcouru.
Une connexion pure et atemporelle
Compartiment n°6 réussit à nous raconter cette histoire invisible qui le rend si bouleversant et énigmatique : comment les kilomètres avalés dans la steppe russe dépouillent les identités de leurs assignations intimes et sociales pour arriver à une connexion pure et atemporelle entre deux êtres.
Titanic ne réalisait pas une autre opération – l’océan infini rapprochant Jack et Rose dans une déferlante d’amour –, et ce n’est évidemment pas un hasard si un clin d’œil est fait à l’œuvre culte de James Cameron. Tandis que ce train presque fantôme conduit les personnages à destination – la ville de Mourmansk, qui abrite un site de pierres couvertes de dessins préhistoriques –, le film chemine vers son passé et son avenir.
Laura et Ljoha, presque amant·es, frère et sœur, et pourtant invinciblement étranger·ères, après mille contretemps, atermoiements du désir, ont pour mission de nous amener à quelques encablures de l’Arctique, là où on devine les énormes glaciers en train de fondre sur place.
Cet espace qui ouvre le film en grand sur la prémonition d’une catastrophe écologique à venir (l’action se situe dans les années 1980) est comme une page blanche où deux grand·es enfants marginaux·ales et hors système, blessé·es par on ne sait trop quelle impolitesse du malheur, vont peut-être pouvoir façonner leur vie à la manière d’un bonhomme de neige.
On aura passé deux heures avec ces écorché·es vif·ves, quelque part épris·es des personnages au bout de ce voyage, comme y invite au cours du film Desireless, dans l’espace inouï de l’amour.
Compartiment n°6 de Juho Kuosmanen, avec Seidi Haarla, Yuriy Borisov (Fin., Rus., Est., All., 2021, 1h47). En salle le 3 novembre.
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