[Un autre regard 12] En ne montrant aucun meurtre féminin à l’écran, “Vaurien” renouvelle le film de serial killer et interroge notre regard frustré de spectateur.rice. Une première œuvre résolument du côté des femmes.
Si Vaurien est traversé par le doute, une manière de ne jamais statuer moralement, il est clair que le réalisateur sait, lui, où est sa place. D’où il regarde et pourquoi. L’amoralité n’est que celle du héros (Pierre Deladonchamps), figure de tueur à capuche auquel on donnerait le bon dieu sans confession. On ne peut reprocher non plus au film une quelconque misogynie. Il ne cesse au contraire d’interroger le rapport des hommes aux femmes, du masculin au féminin : d’une contrepèterie salace à une conversation libidineuse entre potes, Vaurien ne tait rien d’une certaine prédation masculine. Dont le dernier jalon est le meurtre.
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Mais dans les traditionnels portraits de tueurs en série, on assiste au crime. On entrevoit la terreur dans les yeux de la victime. Il y a orgasme scopique, auquel invitent les classiques du genre (de Psychose à Maniac) et encore aujourd’hui les trues crimes qui peuplent le catalogue Netflix (American Murder: The Family Next Door ; Les Fils de Sam : L’horreur sans fin). Or le premier film de Peter Dourountzis, dans un audacieux parti-pris formel, ne montre rien. Il nous sèvre d’images violentes, reléguant chaque féminicide dans le hors-champ de sa mise en scène.
Le réalisateur ne cesse de jouer avec nous, de déjouer nos réflexes et nos attentes. Il compte sur la puissance du hors champ pour nous forcer à imaginer. Nous attendons le sang et le sang ne vient pas. Nous sommes obligés de l’inventer. Il dit combien l’histoire du cinéma nous a éduqué.e.s à jouir des corps féminins violentés, sacrifiés. La frustration du voyeur que nous sommes est immense. Serions-nous tous et toutes des tueurs de femmes ?
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Faire violence à la violence
Mais tout ceci ne tient pas juste à une variation un peu trop maline et théorique sur le genre. Car en la congédiant du récit, le réalisateur fait violence à la violence, il nie son droit à la représentation. Et donc à exister. Il propose autre chose : le temps que Vaurien ne consacre pas aux mortes, il le prend pour filmer les vivantes. Beaucoup de personnages féminins habitent ce film. Des héroïnes presque rohmériennes, aussi vives que loquaces, croisées dans les cafés et les trains. Cela vaut aussi pour les victimes : vivantes, on les voit exister dans leur fragilité. Portraits fugaces mais profonds et saisissants. C’est l’œil d’un peintre.
Née chez Kechiche, objet sexuel par excellence, ce n’est pas un hasard ni un accident si Ophélie Bau revient au cinéma par ce film. Sa lumière est toujours là, intacte. Mais elle porte un jogging et se promène avec un chien méchant, peut-être, si on touche à sa propriétaire. Première scène : une brochette de machos la vanne sur ses règles. Ils trouvent à qui parler. Ophélie ne s’effeuille plus. Elle rhabille les mecs. On retient une image : ses yeux plantés dans ceux du prédateur suprême, à la fin, celui en qui elle avait placé son amour et sa confiance ; son regard trahi, vivant et rescapé, qui se substitue aux visions des défuntes.
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