Traiter la lumière non plus comme vecteur de la vision mais comme objet à contempler en soi et pour soi : tel est le curieux pari -tenu- par un film. Ingrate, la pellicule se garde de refléter fidèlement l’éclat lumineux qui l’a impressionnée, et renvoie au contraire une lumière autre, dénaturée et autonome : celle […]
Traiter la lumière non plus comme vecteur de la vision mais comme objet à contempler en soi et pour soi : tel est le curieux pari -tenu- par un film. Ingrate, la pellicule se garde de refléter fidèlement l’éclat lumineux qui l’a impressionnée, et renvoie au contraire une lumière autre, dénaturée et autonome : celle de l’écran.
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Précieux théoricien, professeur adulé par plusieurs générations d’étudiants, Jacques Aumont célèbre dans son essai les dompteurs de cette lumière, qui ont su tirer un parti cinématographique de ses multiples attraits.
Envisageant d’abord sa portée métaphorique, il passe en revue ses connotations les plus ostensibles : l’incursion du divin signifiée par les nappes éblouissantes, la tension diabolique suggérée par les ténèbres, les dominantes bleutées insinuant le fantastique… Les modèles sont innombrables, de Murnau à Bergman.
Mais l’auteur montre a contrario le revers de ces sempiternelles associations bibliques, logiques ou morales, en pointant le pouvoir métaphysique de « la mauvaise lumière » : celle qui intervient à contre-courant, en oxymore subversif (comme chez Dreyer où la mort est saluée par de subits éclats de blancheur), ou qui s’affranchit de toute cohérence temporelle afin d’accompagner les mutations intérieures des personnages (Kiss Me Deadly d’Aldrich, The King of New York de Ferrara).
Parfois figurative, la lumière peut s’intégrer directement à la narration, à l’instar du brouillard omniprésent dans The Fog de Carpenter. Elle peut se manifester en tant qu’objet de recherche formelle : chez Brakhage, elle est façonnée pour atteindre l’abstraction.
Les cinéastes expérimentaux et les vidéastes ont souvent tenté la fusion fantasque entre lumière naturelle et artificielle, à l’image de Bill Viola filmant le désert de Chott El-Djerid en faisant correspondre chaleur et flou, poussière et grain…
En attribuant à la lumière ces vertus disparates, qu’il recouvre sous le terme de « photogénie », Jacques Aumont prouve qu’elle est à l’origine de toute esthétique filmique. Surtout, il perce à jour le secret du cinéaste habile, montrant comment l’intensité, l’orientation et la couleur d’une lumière guident subrepticement la tonalité d’une oeuvre.
En outre, le cinéma est vu ici comme le prisme idéal pour saisir la beauté de la lumière ; car l’écran est l’unique surface sur laquelle est contredite la maxime de La Rochefoucauld :
« Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement. »
L’Attrait de la lumière, de Jacques Aumont (Yellow Now), 78 pages, 9,50 €
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