En France, s’ils ont longtemps été associés aux enfants, les mangas animés, dans leur grande diversité, sont l’objet depuis quelques années d’un engouement continuel de la part de néophytes de tous âges. Dernier exemple en date avec “L’Attaque des Titans”, dont la dernière saison était plus qu’attendue. Analyse.
Mi-février, Parrot Analytics, cabinet d’analyse de données et d’audience mesurant notamment la popularité des séries, annonçait que L’Attaque des Titans, anime japonais diffusé depuis 2013, s’était hissé, entre le 31 janvier et le 6 février, à la première place du podium des séries les plus populaires aux États-Unis, éclipsant WandaVision et The Mandalorian. Dévoilé le 28 mars, l’épisode 16 de sa quatrième et dernière saison – dont la suite et fin ne sera diffusée qu’à l’hiver prochain – aurait même battu tous les records d’audience.
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En France, L’Attaque des Titans est aussi un véritable phénomène, qui touche davantage les adultes que les enfants, puisque la série est empreinte d’une violence et d’une noirceur assez impressionnantes. Proposées sur Netflix depuis l’année dernière, ses trois premières saisons y trustent toujours le top 10 des séries les plus vues. L’ultime saison, quant à elle, est hébergée sur Wakanim, plateforme française dédiée exclusivement au manga animé, qui a réalisé, au moment du lancement, le meilleur démarrage de son histoire. Le 7 décembre 2020, jour de la sortie du premier épisode, la connexion simultanée de nombreux·euses fans aurait même fait sauter les serveurs de Wakanim.
Mais L’Attaque des Titans n’est que la partie la plus visible d’un phénomène global. Alors que le succès des mangas se confirme d’année en année (ils représentent 42 % de la vente de bandes dessinées en France en 2020, ce qui fait des Français·es les plus grand·es consommateur·trices de mangas derrière les Japonais·es), leurs pendants animés ne cessent de conquérir des adeptes depuis plusieurs années. Parmi les 18-35 ans, rares sont ceux·celles qui n’en regardent pas, toutes classes sociales confondues. L’époque où ils étaient réservés à un public de geeks ou de grand·es ados nostalgiques est révolue.
Netflix l’a bien compris : sa capacité à séduire et à fidéliser les jeunes passe par un investissement massif dans le manga animé. Sur la plateforme, le mois de juin – lancé avec la sortie très attendue (le 3) de Pretty Guardian Sailor Moon Eternal, quatrième film de la franchise culte née en 1992 – est marqué par l’arrivée d’une nouvelle production maison, Valkyrie Apocalypse (après Yasuke, sortie fin avril), qui raconte l’affrontement entre des humain·es et des dieux. Également prévue pour courant 2022, une adaptation en live action d’un autre manga à succès, One Piece.
DE GOLDORAK À NARUTO
Cette tendance ne se limite pas aux stratégies commerciales du géant du streaming. Le manga animé est aussi devenu une référence pour de nombreux·euses musicien·nes contemporain·es, de la très hype Oklou, avec le clip sublime de I Didn’t Give Up on You, à PNL, dont le titre Onizuka renvoie au nom du héros du manga Great Teacher Onizuka, en passant par Flying Lotus, producteur exécutif et compositeur de la BO de Yasuke.
On se souvient aussi d’Interstella 5555 (2003), le film des Daft Punk, comme toujours en avance sur leur temps. Orelsan et Nekfeu ont quant à eux prêté respectivement leur voix au doublage de One-Punch Man et de My Hero Academia.
Pour expliquer cette conquête du manga animé, il faut remonter à 1978 et à Goldorak, premier succès du genre et à l’époque diffusé sur Antenne 2
Générationnel, le phénomène trouve son origine dans le biberonnage de mangas animés avec lequel ont grandi les millennials. Mais avant l’hégémonie de Pokemon et pour expliquer cette conquête du manga animé, il faut remonter à 1978 et à Goldorak, premier succès du genre et à l’époque diffusé sur Antenne 2, dans l’émission Récré A2. Ont suivi des titres comme Capitaine Flam, Les Chevaliers du Zodiaque, Ken le survivant ou Lady Oscar.
À la fin des années 1980, le Club Dorothée de TF1 remplace Récré A2 dans le cœur des enfants. Beaucoup moins coûteux que les séries animées franco-belges, les mangas animés envahissent les programmes jeunesse. Malgré de vives critiques adressées à l’encontre de certains mangas, jugés trop violents (Ken le survivant sera même censuré par la chaîne), Dragon Ball Z, diffusé dès 1990 en France, permet au genre de gagner encore en notoriété. La fin de la décennie marque un nouveau tournant avec l’arrivée de Pokemon, puis de Yu-Gi-Ho!, diffusés sur Canal J, la première chaîne exclusivement réservée aux programmes pour enfants.
Le manga animé et ses multiples produits dérivés (des cartes à jouer aux figurines) deviennent les produits phares d’un marché jeunesse en pleine expansion. Les années 2000 sont quant à elles marquées par le succès de Naruto, diffusé sur Game One dès 2006. Ces quatre décennies, chacune assortie d’un titre phare et de son diffuseur (Goldorak/Antenne 2, Dragon Ball Z/TF1, Pokemon/Canal J, Naruto/Game One), ont façonné un public nouveau pour le manga pour adultes. Elles accouchent du tandem actuel : L’Attaque des Titans/Netflix (et Wakanim). Main dans la main avec le petit écran, le cinéma a renforcé cette appétence pour l’animation nippone, avec les films du Studio Ghibli et certains titres plus confidentiels : Akira, Perfect Blue, Ghost in the Shell, Miss Hokusai, Belladonna et plus récemment Your Name.
UNE GRANDE DIVERSITÉ
D’une durée inférieure à trente minutes chacun, les épisodes d’un manga animé reprennent l’intrigue, les personnages et l’univers graphique de la bande dessinée dont ils sont l’adaptation. La dite adaptation est confiée à un studio d’animation dont dépend la qualité de la série et qui peut changer d’une saison à une autre. Ainsi, les trois premières saisons de L’Attaque des Titans, toutes sublimes, ont été confiées au Wit Studio, avant que la dernière, beaucoup moins réussie graphiquement, ne passe aux mains des studios Mappa.
La force du manga, et donc du manga animé, est son extrême diversité. On dénombre six catégories de mangas différentes, ayant chacune un public précis. Le kodomo s’adresse exclusivement aux enfants et n’a pas pour autre but que de divertir son public, souvent en introduisant une galerie de petits monstres (Digimon, Pokemon, Astro Boy). Le shônen est destiné aux adolescent·es et généralement aux garçons (mais ceci n’est qu’une affaire de stéréotypes de genre).
Il met en scène un·e jeune héros·oïne, souvent orphelin·e, vivant dans un monde fantastique et ayant un talent caché qu’il·elle doit apprivoiser pour accomplir sa destinée (Hunter X Hunter, Death Note, One Piece, Fullmetal Alchemist: Brotherhood). C’est le récit type du dépassement de soi, de la perte d’innocence, où la lutte entre le bien et le mal est très présente. Le shôjo est son pendant stéréotypé féminin puisque les thématiques développées tournent autour de la vie quotidienne, de la psychologie, de la poésie, de l’amour et de l’amitié, éventuellement sur toile de fond d’heroic fantasy colorée (Lady Oscar, Sailor Moon, Fruits Basket).
https://www.youtube.com/watch?v=SU6AZA810FA
Le seinen est le prolongement adulte du shônen. Ses personnages peuvent y vivre des histoires d’amour, et la dimension fantastique y est moins systématique. Il gravite souvent autour de la notion de pouvoir et critique, le plus souvent par l’anticipation, les dysfonctionnements de la société contemporaine. Il interroge la place de l’être humain dans celle-ci, dans une tonalité très pessimiste (Ghost in the Shell, Akira, Berserk).
Le Josei est le pendant féminin du seinen. Il aborde de façon plus réaliste que le shôjo les relations amoureuses, la sexualité et le désir d’émancipation (Nana, Blue, Paradise Kiss). Enfin, le hentai est le manga érotique, voire pornographique (Perfect Blue, Cream Lemon, Bible Black).
L’ACTUALITÉ ENTRE QUATRE MURS
L’Attaque des Titans, SNK pour les intimes (de son titre original Shingeki no Kyojin, qui signifie “le Titan assaillant”), appartient à la catégorie des shônen. Il se déroule dans un univers postapocalyptique pétri d’influence occidentale, en l’occurrence le Moyen Âge teuton. On entre dans la série avec fracas et sur ces mots : “Ce jour-là, l’humanité s’en est souvenue. La terreur d’être dominée par eux. L’humiliation d’être emprisonnée dans une cage.” La terreur y a un visage, celui de gigantesques Titans, ressemblant au Saturne dévorant un de ses fils de Goya dévorant un de ses fils. Ces Titans s’introduisent dans une cité cerclée de hauts murs pour en dévorer les habitant·es. Le petit Eren Jäger, personnage central du manga, voit sa mère déchiquetée vivante. Il se promet alors qu’il parviendra à délivrer l’humanité de la menace des Titans.
L’extraordinaire pouvoir d’addiction de la série repose sur le déchiffrement d’un monde dont, tout comme les personnages, on ne sait rien. D’où viennent les Titans ? Pourquoi s’attaquent-ils à la population ? Qui les envoie ? Et surtout, quel monde se cache derrière les murs de la cité ? La façon dont son auteur, Hajime Isayama, parvient à faire progresser l’intrigue en remplaçant chaque révélation par un nouveau mystère et en maintenant une totale cohérence narrative rend la série fascinante.
Tout au long de ses 34 volumes, dont le dernier tome est sorti le 9 avril et sera donc adapté en manga animé l’hiver prochain, L’Attaque des Titans raconte l’histoire d’un monde où règne l’insécurité et narre la lutte que mènent Eren et ses acolytes pour instaurer la paix. Alternant grandes séquences de bataille et scènes plus feutrées, le manga s’empare en sous-texte de la question du nationalisme et du racisme.
Les allégories de l’univers sombre décrit par Isayama sont multiples et trouvent une terrible résonance avec l’actualité. Cette humanité acculée entre quatre murs et le bellicisme de ces luttes entre ethnies font autant écho avec le passé – la persécution des Juifs dans l’Allemagne nazie ; la rivalité ancestrale entre le Japon et ses voisins – qu’avec la plus brûlante actualité – le conflit israélo-palestinien.
Omniprésent sur le petit écran, avec comme fer de lance L’Attaque des Titans, le phénomène des mangas animés pourrait aussi prendre de l’ampleur en salle. Hollywood l’a déjà anticipé à sa façon, en adaptant des animes en live action : Ghost in the Shell de Rupert Sanders (2017), Alita: Battle Angel de Robert Rodriguez (2019), et Pokemon Détective Pikachu de Rob Letterman (2019). Cette tendance se confirmera dans les prochaines années avec les projets d’adaptation en chair et en os de One-Punch Man, Naruto, Gundam, My Hero Academia, Akira et même L’Attaque des Titans, que réaliserait Andy Muschietti (Ça ; Mama). Le succès de Demon Slayer: Kimetsu no Yaiba – Le Train de l’infini confirme ce nouvel âge d’or du manga animé.
Sorti au Japon en octobre 2020, cette déclinaison en film de la série Demon Slayer est devenue le plus gros succès de l’histoire du box-office japonais, devant Titanic et Le Voyage de Chihiro, et ce malgré le contexte épidémique. En tête du box-office US après deux semaines d’exploitation, il semble également conquérir le marché français. Sorti le 19 mai, jour de réouverture des salles, il est le nouveau film le plus plébiscité, loin devant Mandibules et Tom et Jerry. Phénoménal.
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