[Best of musique 2020] Compositeur de génie, collaborateur au cinéma de Sergio Leone et tant d’autres Ennio Morricone, disparu le 6 juillet à l’âge de 91 ans, incarnait la rencontre parfaite entre tradition savante et culture populaire.
L’émotion que provoque la mort d’Ennio Morricone va bien au-delà des amateur·trices de musique de film. Tout simplement parce qu’il est peut-être le seul compositeur identifié au cinéma dont certains morceaux peuvent être sifflés ou chantonnés par n’importe qui, et pas seulement par les cinéphiles. Rien ne prédestinait d’ailleurs Ennio Morricone à devenir l’auteur de thèmes aussi célèbres et aussi magistraux que ceux qu’il a écrits pour Sergio Leone (Le Bon, la Brute et le Truand…), Henri Verneuil (Le Clan des Siciliens…) ou encore Elio Petri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon…). Musicien surdoué, Morricone a d’abord suivi de très sérieuses études au conservatoire de Santa Cecilia à Rome. A sa sortie, il fait le grand écart entre son goût pour les dissonances et l’improvisation contemporaine et des arrangements toujours très soignés pour la grande variété italienne du début des années 1960. Cette double polarité, qu’il conservera jusqu’au bout, définit parfaitement le style Morricone, qui orchestre la rencontre parfaite entre tradition savante et culture populaire, à l’image du cinéma italien des années 1960-1970 qu’il va marquer de son empreinte.
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Ennio Morricone et Sergio Leone : une collaboration mythique
C’est bien évidemment Sergio Leone qui sera le catalyseur du vrai destin d’Ennio Morricone. On connaît l’histoire : Leone cherche un compositeur pour son premier western, Pour une poignée de dollars (1964), et il va finir par le trouver en la personne du grand Ennio. Cette collaboration, désormais mythique, va être l’une des plus belles et des plus fusionnelles que le cinéma nous ait donné à voir et à entendre. Dès Pour une poignée de dollars, Morricone invente un son complètement nouveau : mélodies tordues, et pourtant évidentes, agrémentées de sons concrets (coups de feu ou claquements de fouets…) et d’instruments rares (guimbarde, harmonica…).
Ce son va évoluer mais il restera comme la marque de fabrique du compositeur. Peu à peu, Morricone développe un lyrisme incandescent qui culmine dans les sublimes BO d’Il était une fois dans l’Ouest (1969) et d’Il était une fois la révolution (1971). Sans oublier l’assomption mélancolique d’Il était une fois en Amérique (1984), une musique à l’écoute de laquelle il est difficile de ne pas avoir les larmes aux yeux.
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La richesse du cinéma italien, un pied dans le cinéma français et la rencontre avec Quentin Tarantino
Pour autant, il ne faudrait surtout pas réduire l’œuvre de Morricone à sa collaboration avec Leone. Il se trouve qu’à lui tout seul ou presque, le compositeur incarne toute la richesse du cinéma italien à son âge d’or (1965-1975). Il travaille avec les auteurs les plus ambitieux (Pasolini, Bellocchio, Bertolucci, Petri, Bolognini, les frères Taviani…) aussi bien que pour les gialli délirants de Dario Argento ou Lucio Fulci (et bien d’autres…) ou des films plus obscurs comme La Cosa buffa ou Metti, una sera a cena, deux de ses plus belles BO, pleines de bossa nova à tomber par terre.
Dans les années 1970-1980, il a un pied dans le cinéma français, auprès d’Henri Verneuil (5 films), Philippe Labro, Yves Boisset, Francis Girod, José Giovanni, sur des films pour le moins mineurs mais dont les musiques sont un modèle de raffinement orchestral et mélodique. Plus tard, alors qu’il ne parle pas un mot d’anglais, il conquiert l’Amérique et croise Terrence Malick, Brian De Palma, Samuel Fuller ou Roland Joffé (en particulier, pour Mission, la musique préférée du Maestro). Et c’est d’ailleurs un Américain qui va contribuer à faire redécouvrir la partie la moins célèbre de son très riche patrimoine des années 1960-1970 : Quentin Tarantino.
En choisissant très soigneusement et très régulièrement des titres plutôt obscurs, et souvent terrassants, de Morricone pour les BO d’Inglourious Basterds ou Django Unchained, Tarantino connecte le compositeur à l’époque contemporaine. Au point que le cinéaste finit par commander une musique originale au Maestro : ça sera pour Les Huit Salopards, une des toutes dernières bandes originales composées par Morricone, qui lui permettra de gagner son seul et unique Oscar, après avoir obtenu, il est vrai, un Oscar d’honneur, quelques années auparavant.
https://www.youtube.com/watch?v=pxtNi3dytcY
Au bout du compte, les musiques d’Ennio Morricone ont fini par sortir de l’écran pour incarner un son unique. Comme Jobim, Burt Bacharach ou les Beatles, Morricone a inventé le son d’une époque. Un son forcément pop qui fait entièrement partie de nos vies, même si on n’entretient pas un lien très fort avec le cinéma. Un son qui mélange les cordes lyriques de l’orchestre à des guitares acides et franchement psychédéliques. Un son très italien, marqué par la très riche tradition musicale de ce pays, mais qui a parfaitement voyagé dans le monde entier.
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