[Les scandales qui ont secoué Hollywood] Après avoir été accusé d’être responsable de la mort d’une jeune actrice nommée Virgina Rappe, le grand acteur burlesque Roscoe “Fatty” Arbuckle est blacklisté des plateaux de cinéma. Dès les premiers jours, la presse française de l’époque couvre l’affaire. Un scandale célèbre qui va avoir une grande influence sur le cinéma hollywoodien de l’époque.
Retrouvez les autres épisodes de notre série sur les scandales qui ont secoué Hollywood tous les jeudis de juillet ! Des articles écrits en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF.
Qui était Roscoe Arbuckle ? Connu sous le sobriquet de “Fatty” (“grassouillet”, littéralement) et ce depuis sa plus molle adolescence (la grossophobie ne date pas d’aujourd’hui), cet acteur comique rondouillard (et extrêmement souple) originaire du Kansas est d’abord chanteur (talent inutile à l’époque du muet, convenons-en) avant d’être repéré par le cinéma au début des années 1910. Sa bonhomie et ses bonnes joues ne semblent faire qu’un : il répond à l’image caricaturale du « bon gros ».
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Il devient très vite la plus grande vedette de la compagnie cinématographique Keystone, spécialisée dans le burlesque et dirigée par le légendaire Mack Sennett. Arbuckle tourne des films avec la première vedette comique féminine de la Keystone, Mabel Normand, qui devient – quand Charlie Chaplin est embauché quelque temps après par Sennett – aussi l’une de ses partenaires fétiches. A l’époque, Fatty est aussi, voire plus populaire que Charlot. Doué d’un sens du comique et du rythme manifeste, ce fan de batailles de tartes à la crème réalise bientôt lui-même ses films, fait tourner pour la première fois Buster Keaton et devient son mentor.
En 1919, « racheté » par la Paramount, Roscoe tourne son premier long-métrage, qui rencontre le succès. On estime alors qu’il gagne 1 million de dollars par an, contre 40 dollars par jour six ans plus tôt, au moment de son embauche à la Keystone… Une ascension socio-professionnelle qu’on peut, sans exagérer, qualifier de foudroyante. Mais on lui prête aussi un goût prononcé pour les plaisirs de la vie qui ne s’arrête pas à la nourriture. On dit qu’il aime faire la fête, les alcools forts, les belles voitures, claquer son argent entouré de belles jeunes femmes.
Une virée à San Francisco en septembre 1921
Et puis le Labor day (la Fête du travail) de septembre 1921 arrive. Arbuckle a décidé de faire une virée à San Francisco avec deux copains. Ils logent au St Francis Hôtel, où ils prennent des suites. Ils décident d’organiser dans l’une d’elles une petite party qui durera trois jours. L’alcool, alors prohibé aux Etats-Unis (il l’est depuis un an et le reste jusqu’en 1933) va couler à flots (il est assez courant à l’époque de consommer l’alcool de contrebande dans un lieu neutre comme une chambre d’hôtel pour être plus discret). Des jeunes femmes sont invitées à participer à cette beuverie. Une jeune actrice et mannequin de vingt-cinq ans, nommée Virginia Rappe, et qui a déjà tourné dans une dizaine de films, se joint à eux le 5 septembre.
La “fête” bat son plein quand Miss Rappe se plaint soudain de maux de ventre très violents. Les autres fêtards les prennent au départ à la légère, persuadés qu’elle a tout simplement trop bu. On apprendra plus tard qu’elle a une eu péritonite aiguë… Elle meurt quelques jours plus tard à l’hôpital.
La presse à scandale s’empare de l’affaire
Roscoe Arbuckle est accusé par deux témoins d’avoir violé la jeune femme – une agression violente qui aurait pu causer la péritonite. Il nie. La presse à scandale, notamment celle de William Randolph Hearst (le magnat qui inspira le rôle de Kane à Orson Welles), s’empare aussitôt de l’affaire et prend parti contre l’acteur et contre la Babylone moderne que serait Hollywood. Tout un tas de fantasmes alimentent la presse à sensation et ses nombreux lecteurs·rices, partagés·ées entre le dégoût et la fascination pour des détails sordides sur la sexualité d’Arbuckle ainsi que sur les accusations de viol. La véracité de l’agression n’a jamais pu être établie mais, comme disait l’écrivain et scénariste Gore Vidal : « Vrai ou faux, tout ce qu’on dit sur Hollywood est vrai« .
Charles Chaplin défend son ami Arbuckle : “Fatty est innocent. Il suffit de le regarder pour voir qu’il n’a rien du meurtrier”, croit-il savoir, comme le publie La Presse du 12 septembre 1921 (soit une semaine après les événements), reprenant une information du Chicago Tribune :
On note que la description des faits est assez précise : Arbuckle et Rappe seraient restés seuls dans une pièce pendant une demi-heure. Virgina Rappe affirme qu’elle a été attaquée et violée par Arbuckle. Et les médecins ont trouvé des traces de « meurtrissures » sur le corps de la jeune femme…
Pour Coemedia, célèbre quotidien culturel français, l’affaire ne fait pas de doute : Arbuckle est coupable.
L’Action reprend à son compte les rumeurs qui courent sur la moralité de l’acteur comique :
La justice rend son verdict, la presse ne suit pas
Trois procès ont lieu : selon les experts, la péritonite de Virginia Rappe n’aurait pas été provoquée par un viol. Roscoe Arbuckle est acquitté à l’unanimité par le troisième jury. Rien, selon ce dernier, ne prouverait que le comique a violé Virgina Rappe (la moralité des accusateurs de Roscoe ayant par ailleurs été jugée douteuse). Et les « meurtrissures » rapportées dans La Presse ? Elles semblent bien vite oubliées par le jury…
Le Matin, journal conservateur de l’entre-deux-guerres annonce le verdict dans un entrefilet :
William Hays et l’entreprise de moralisation d’Hollywood
Arbuckle ressort ruiné de cette affaire. Il pense peut-être pouvoir reprendre le chemin des studios mais la presse et surtout les politiques ne l’entendent pas de cette oreille. Apparaît ici une figure très importante dans l’histoire du cinéma hollywoodien au 20e siècle : William Hays. Sénateur républicain, ministre de la Poste et proche du président des Etats-Unis entre 1921 et 1923, Warren G. Harding, dont il a conduit la campagne. Hays démissionne du gouvernement et participe de près à la création de la Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA) qui se donne pour tâche de moraliser Hollywood, ce temple du stupre, des libations et de la fornication.
Une autre affaire (l’assassinat du metteur en scène William Desmond Taylor, proche de Mabel Normand, elle-même proche d’Arbuckle), vient à point nommé et encourage Hays et ses collaborateurs dans leur entreprise. Très rapidement, Roscoe « Fatty » Arbuckle est officiellement blacklisté : il n’a plus le droit de jouer dans un film.
Dans Le Matin, on peut lire :
La naissance du Code Hays
Désormais, toute personne apparaissant sur un écran doit se voir remettre un certificat de moralité. Pire que tout, Arbuckle a perdu son public qui l’adulait naguère. Ses films les plus récents sont retirés des salles de cinéma. Dans certaines villes, les écrans où l’on projette ses films sont déchirés. Puritains, religieux, ligues de vertu… Tout le monde se ligue contre lui. En 1926, “Fatty” quitte les Etats-Unis pour un voyage en Europe. Il vivote ensuite aux Etats-Unis, sur les scènes des cabarets et des théâtres quand les élus de la ville ne s’opposent pas à la présence de ce « violeur » potentiel. Son ami Buster Keaton le fait travailler comme gagman su certains de ses longs-métrages.
Pendant ce temps-là, William Hays continue à travailler. Mais cette fois-ci, ce n’est pas seulement la vie débridée des professionnels du cinéma qu’il entend régenter. Mais le contenu des films eux-mêmes ! C’est ainsi que naît le célèbre “Code Hays”, qui va pendant des dizaines d’années (en gros de 1934 à 1966, avec un peu moins de rigorisme à partir de 1954) codifier les règles de pudeur dans les films américains (tout ce qui concerne le crime, le sexe, la nudité, la patrie et la religion obéit à des règles très précises et incontournables).
Le discret retour sur le devant de la scène
La suite est beaucoup moins mélodramatique qu’on l’a souvent raconté. Roscoe Arbuckle n’est pas « mort dans la misère », par exemple. Au début des années trente, il prend un pseudo, William Goodrich (le nom de son père qu’il détestait…), pour réaliser des films, et redevient même acteur sous son propre nom avec un certain succès. Louise Brooks, qui a travaillé sous sa direction, raconte toutefois qu’il avait l’air absent et qu’il semblait se désintéresser de la mise en scène… Le soir même du jour où la Warner vient de signer avec lui un contrat pour un long-métrage, il est foudroyé par une crise cardiaque et meurt à New York le 24 juin 1933. Il avait 46 ans. Il est incinéré et ses cendres sont jetées dans le Pacifique, emportant avec elles la vérité sur les circonstances de la mort de Virginia Rappe.
La semaine prochaine : retour sur les nombreux mariages et divorces de Charlie Chaplin.
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