Sortie dans la quasi indifférence en 1998, « The Big Lebowski » a réussi avec les années à inscrire son empreinte dans la culture populaire. Aujourd’hui, il fait parti des plus grands films cultes et continue d’inspirer de nombreuses modes plus ou moins loufoques à ses fans.
On connaît l’attachement des Coen au film noir. Dès Blood Simple (1984) leur premier long-métrage, les cinéastes s’approprient brillamment le genre en y ajoutant, déjà, un soupçon d’ironie qui ne cessera par la suite d’infuser leur cinéma, comme une signature récurrente. On compte donc plusieurs films noirs ou disons néo-noirs dans la filmographie des frangins, entre hommage (Miller’s Crossing, 1990, The Barber, 2001) et modernisation (Fargo, 1996, No Country for Old Men, 2007) mais c’est en 1998 avec The Big Lebowski que les cinéastes décident de faire littéralement imploser le genre dans une réécriture pour le moins étonnante du roman Le Grand Sommeil du maître du genre Raymond Chandler qui avait déjà connu une adaptation en 1946 par Howard Hawks. Bien plus proche à vrai dire du pastiche que d’une adaptation littéraire sérieuse, The Big Lebowski est un échec commercial malgré des critiques presse plutôt élogieuses. Mais, comme tout bon film culte qui se respecte, il faudra quelques années pour que le film des Coen s’impose incontestablement dans la pop culture et inspire de nombreuses modes à ses fans.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quatre ans après la sortie, le journaliste Steve Palopoli est un des premiers à déceler le phénomène et parle dans son article du “dernier film culte du XXe siècle ou du premier du XXIe siècle“. C’est alors le début d’une popularité incroyable qui, hormis la saga Star Wars, Retour vers le futur et Pulp Fiction trouve peu d’équivalent d’une aussi forte implantation dans la culture contemporaine, au point même d’en faire naître une religion : le dudéisme. Oui, quand même…
“Fuck it, Dude. Let’s go bowling”
The Big Lebowski , c’est avant tout un personnage emblématique et irrésistible : Jeff Lebowski, « The Dude », quarantenaire célib et flemmard qui déambule en peignoir chez lui et dont le quotidien est dédié à la fumette, à la beuverie et aux parties de bowling avec ses potes. Un personnage quelque part entre le grotesque et le sublime, dans la lignée des autres losers magnifiques de la filmographie des Coen. Jeff Lebowski n’a rien demandé à personne lorsque deux voyous pénètrent dans son domicile et lui réclament une grosse somme d’argent avant de pisser sur son tapis persan. Sauf que Jeff n’est pas le bon Lebowski recherché, il s’agit de son homonyme : un millionnaire paraplégique de Pasadena dont l’épouse vient d’être kidnappée. Dès lors le film des frangins va partir un peu dans tous les sens, accumulant les situations absurdes et les répliques cultes qui, quelques années plus tard, seront récitées, parodiées et imitées fidèlement par les fans. Un tel raz-de-marée de la pop culture que le mot « Dude » sera désormais utilisé comme tic de langage par la jeunesse américaine afin interpeller ses potes.
White Russian et dudéisme
Le White Russian (Vodka, liqueur de café, crème fraîche ou lait), c’est ce que s’enfile The Dude durant une grande partie du film. A la manière du Vodka Martini (au shaker et pas à la cuillère) de 007, ou plus sinistre, du Petit Grégory de C’est arrivé près de chez vous, le cocktail du Duc a connu un regain de popularité énorme suite à la sortie du film. Alors que, autant vous dire, si vous commandiez la boisson à un barman avant 2002, vous seriez passé pour un has-been fini. Dans sa critique du film de 1998, Didier Péron de Libération parlait d’ailleurs d’« un dégueulis marronnasse on the rocks! ». Depuis les choses ont évolué et un jeu à boire a même été instauré : il s’agit de regarder le film et se vider un White Russian à chaque fois que The Dude en ingurgite un. On a compté, ce dernier en boit 9. Pour les volontaires, il est donc possible que les dernières minutes du film vous paraissent un peu floues.
Aussi loin qu’on se souvienne, on connaît relativement peu de personnages de films qui ont entraîné la naissance d’une religion. A vrai dire, tant mieux. Une croyance créée autour de Norman Bates ou d’Hannibal Lecter eut été plus problématique. Le dudéisme est pour sa part, inoffensif : de la même manière que The Big Lebowski est un pastiche du film noir, le dudéisme est un pastiche religieux. Fondé en 2005 en Thaïlande, par Oliver Benjamin autrement dit The Dudely Lama, l’organisation The Church of the Latter-Day Dude, revendique plus de 220 000 prêtres et des textes sacrés qui convoquent une philosophie hédoniste, libertaire dont le but est d' »Eviter d’être endoctriné par le pouvoir de l’industrie » tout en reproduisant l’attitude désinvolte et paresseuse du héros coennien.
L’écrivain Olivier Maulin, auteur de la postface du livre Je suis un Lebowski, tu es un Lebowski tente de comprendre l’engouement autour du film et vient à conclure que l’oeuvre des Coen est « au-delà d’une simple farce. Dans un monde rationalisé et tourné vers la rentabilité, le Dude propose une forme de rébellion salvatrice. C’est un film post-idéologique : le Dude fait la révolution tout seul dans son coin. Mais il peut, si on l’imite, ébranler le système. » Amen.
{"type":"Banniere-Basse"}