Le formalisme empesé de l’auteur de Ida trouve une ample respiration grâce à un récit très romanesque. Celui d’un amour dans l’Europe fracturée du XXe siècle.
Nous n’avions pas aimé Ida, le film qui valut à Pawel Pawlikowski de remporter un Oscar du meilleur film en langue étrangère et un beau succès public : trop lisse, trop beau, trop étouffant le cinéma du réalisateur polonais – qui cultive une esthétique proche d’une publicité pour un produit de luxe. Et qui conclut beaucoup de ses plans par un noir de quelques secondes dont l’utilité continue à nous échapper. Cold War a beau avoir remporté à Cannes le prix de la mise en scène, cette dernière est trop décorative et raide pour que nous l’appréciions.
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Alors pourquoi Cold War, qui présente le même aspect qu’Ida (noir et blanc hyper léché) nous sied-il davantage ? D’abord pour son histoire, poignante, qui aborde un thème très actuel : où vivre heureux ? Dans quel pays, sur quelle planète ? Cold War raconte l’histoire d’amour de Zula et de Wiktor. Ce dernier, musicien et compositeur, est chargé au début du film de repérer, dans la Pologne communiste de 1949, les meilleurs jeunes chanteurs et danseurs du pays afin de former une troupe qui deviendra la vitrine culturelle de la Pologne à l’étranger. Zula se pointe à ce “casting”, elle a du talent, il la choisit. Leur amour est soudain, intense, passionné. Mais lui décide de passer à l’Ouest, et Zula décide de ne pas le suivre.
La liberté n’existe pas à l’Est, et à l’Ouest, seul l’argent compte
Commence alors une série de retrouvailles fugaces entre les deux amants. Et puis, à Paris, ils revivent un temps ensemble. Les voilà enfin libres de s’aimer. Alors tout va bien ? Non, car Wiktor a toujours été faible, ou trop adaptable, et Zula ne supporte pas qu’il compromette son talent au service d’une musique qui n’est pas la sienne, qu’elle soit belle ou non (ici, le jazz). Où vivre heureux dans ce monde impossible ? L’Est et l’Ouest sont aussi rebutants l’un que l’autre, pour Zula comme pour Wiktor : la liberté n’existe pas à l’Est, et à l’Ouest, seul l’argent compte.
Et puis il y a aussi et surtout l’interprète principale du film, Joanna Kulig (dans la vie une pile électrique, fougueuse “comme tous les Polonais des montagnes”, dit-elle en riant), qui dynamite littéralement de l’intérieur le cinéma hypercoincé de Pawlikowski. Elle est superbe, convulsive, capable d’un seul regard de suspendre le temps, elle sait chanter et danser dans tous les styles. Le film regorge de scènes musicales et dansées galvanisantes, où Kulig brille de mille feux. A elle seule, elle donne une âme au film.
Cold War de Pawel Pawlikowski (Fr., Pol., Brit., 2018, 1 h 28)
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