Les années 40, l’immédiat après-guerre : une période moins connue de l’oeuvre du réalisateur japonais, avant ses chefs-d’oeuvre des années 50. Une réflexion complexe sur le malheur des femmes.
La Voix des femmes
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LES FILMS : A la fin de Flamme de mon amour, une jeune femme, jusqu’alors préoccupée de son seul sort, lâche cette confession qui pourrait être le mot d’ordre des films de Mizoguchi : “J’ai enfin compris la voie des femmes.” La “voie des femmes” selon Mizoguchi s’affine encore au cours des années 40, marquées par le passage entre deux idéologies imposées au cinéma japonais, l’une réactionnaire, mise en place par le régime militariste d’avant-guerre, et l’autre progressiste, promulguée par l’administration US d’après-guerre. Si le cinéma de Mizoguchi peut ainsi s’épanouir, soutenu par ces nouvelles consignes, soucieuses du sort fait au genre féminin, la voie des femmes se déploie cependant avec une subtilité dont ne peuvent rendre compte les seules oppositions idéologiques. L’Epée Bijomaru (1945), à part dans cette sélection, est un film de samouraïs axé sur la fabrication d’une épée, qui s’éloigne du genre proprement dit, préférant traiter de la question du façonnage artistique, orgueilleux et solitaire, plutôt que de filmer les scènes d’affrontement attendues. Dans Cinq femmes autour d’Utamaro, Mizoguchi choisit la figure du peintre pour dresser indirectement un autoportrait de cinéaste. La voie des femmes s’ouvre ici à l’ambiguïté : fondé sur une compassion exacerbée, le cinéma de Mizoguchi a cependant besoin, comme inspiration, de la fixation, voire de la reconduction du malheur féminin – qui est à la fois ce qui suscite la somptueuse déploration des cinéastes masculins et constitue la condition nécessaire de leur art. L’Amour de l’actrice Sumako étonne par le portrait d’un homme marié osant rompre les conventions familiales pour donner libre cours à son amour adultère. La scène – qui rappelle tout à la fois Tchekhov (une jeune fille jure qu’elle ne sera jamais heureuse) et Ozu (lorsque l’amour vient bouleverser l’ordre familial) – où le père s’excuse auprès de sa fille vient enrichir la voie des femmes d’une composante tragique masculine, moins flamboyante certes, mais discrètement déchirante. Les Femmes de la nuit suit la trajectoire de deux sœurs qui se prostituent dans un Japon d’après-guerre dévasté. La violence physique de ce calvaire, filmée ici avec une rare frontalité, s’achève par une sidérante scène d’exorcisme collectif où les femmes tentent d’instaurer un pacte de solidarité minimale pour contrer la brutalité masculine. Flamme de mon amour, qui raconte l’itinéraire d’une féministe au sein d’une organisation politique, quitte peu à peu l’exaltation de l’engagement pour une amertume glacée qui rappelle l’itinéraire de la Gertrud de Dreyer : même médiocrité masculine révélée in fine, même solitude féminine, mêmes hommes et femmes figés côte à côte, stupéfaits de voir leurs faiblesses devenir destins.
LE DVD : Un ensemble composé d’une série d’interventions de Jean Douchet, de Charles Tesson, de témoignages de Kaneto Shindô (assistant de Mizoguchi) et d’aperçus sur le peintre Utamaro.
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