Arte publie un coffret DVD de Costa-Gavras, réunissant pour la première fois ses neuf premiers films. La chaîne franco-allemande propose également un cycle de cinq de ses films du 7 au 15 février. A cette occasion, le cinéaste revient pour nous sur sa carrière, ses engagements et ses inquiétudes concernant les médias et et la démocratie.
Jusqu’à ce coffret, il était assez compliqué de trouver vos premiers films… Cette rétrospective d’Arte, était-ce une volonté de votre part ?
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Costa-Gavras – J’ai refusé autant que j’ai pu les sorties en DVD car j’avais le sentiment qu’ils sortiraient un peu n’importe comment. J’ai voulu attendre de tous les regrouper. Vous savez, on dit toujours que j’ai fait des films politiques, ça donne l’impression que tous les matins je me réveille en me demandant ce qu’il y a de politique. J’ai voulu expliquer comment chaque film est né, chacun avec ses particularités.
Aviez-vous l’impression d’avoir une forme de conscience politique dès vos premiers films ou est-ce que c’est venu par la suite ?
Je ne peux pas dire que je me suis politisé. Nous l’étions tous à l’époque, notamment avec la guerre d’Algérie. Mais quand j’ai commencé à fréquenter Yves Montand, je m’y suis intéressé davantage. Il avait une vraie proximité avec le Parti communiste. Nous avions des discussions formidables. Il m’a fait comprendre que la politique était quelque chose de capital.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire votre premier film politique ?
Avec le succès, autant public que critique, de Compartiment tueurs (1965), un producteur de Hollywood est venu me voir pour me proposer de réaliser un film. Je voulais à l’époque adapter La Condition humaine de Malraux. J’avais l’impression qu’il y avait dans l’adaptation de ce roman tout un côté du septième art qui n’avait pas été clairement mis en scène jusque-là. Mais ça ne s’est jamais fait. J’ai ensuite tourné Un homme de trop (1967) puis Z (1969), qui est considéré comme le premier film politique français. Mais il est surtout né contre les colonels grecs. Ils venaient de prendre le pouvoir, moi j’avais le livre (éponyme – ndlr) de Vassílis Vassilikós entre les mains et j’ai choisi de réagir avec ma caméra.
Pourtant, vous dites souvent que ce n’est pas un film typiquement grec…
C’est un film typiquement français mais l’histoire est grecque. Il est universel parce qu’il s’attache à expliquer le mécanisme d’une justice soumise au pouvoir et l’instauration d’une dictature qui en découle. Ce film sonnait comme une pétition contre le régime des colonels.
Vous aimez disséquer les problématiques de votre temps. Quel regard portez-vous sur les films politiques et sociaux qui sortent aujourd’hui ?
Merci patron ! de François Ruffin, les films de Ken Loach, le dernier Emmanuelle Bercot sur l’affaire du Mediator jouent un rôle très important. Merci patron !, c’est un documentaire mais le concept est très bon. Et à partir du moment où des dizaines de milliers de personnes voient le film, il insuffle quelque chose dans la société. François Ruffin révèle les coulisses du dialogue social avec de l’ironie, c’est très fort.
Quand vous avez sorti L’Aveu (1970), L’Humanité a écrit que c’était un film anticommuniste. Comment avez-vous perçu ces critiques ?
L’objectif de ce film était de montrer que nous avions tous été séduits par cette idéologie. Même sans avoir appartenu au parti, ce projet de société était très attirant. Puis on s’est aperçu très vite que c’était une escroquerie. Nos meilleurs sentiments avaient été mis au service d’un mensonge. Nous avons eu une prise de conscience lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie. Puis le livre d’Artur London (L’Aveu, 1968) est sorti et il était formidable. Il racontait vraiment comment le système manipulait les consciences.
Un autre réalisateur très diffèrent de vous, Jean-Luc Godard, parlait de communisme, quelle est votre opinion sur son cinéma politique ?
Je ne suis pas du tout d’accord avec sa période dite communiste. Durant ces huit-dix années, il n’a fait que des films qui ne m’intéressent pas du tout. Ce sont des films de gauchiste. C’est d’ailleurs plus Gorin (Jean-Pierre Gorin, qui faisait également parti du groupe Dziga Vertov, ndlr) que Godard ces films.
Et même un film plus critique comme La Chinoise ?
La Chinoise était intéressant par beaucoup de côtés, c’était une surprise. Pas Le Petit Soldat par contre. Ce qui me différencie de Godard c’est que je suis très attaché à la fiction et au spectacle. J’essaie de faire un film qui me plairait à moi avant tout. Je n’aimerais pas faire un film pour trois personnes. Même si c’est nécessaire de faire des films très pointus qui sont vus par très peu de personnes, moi je ne saurais pas le faire.
Ce qui vous lie à Jean-Luc Godard, c’est aussi le chef opérateur Raoul Coutard, qui est décédé récemment. Pouvez-vous nous parler de votre relation avec lui ?
J’ai fait deux films avec lui et j’aurais aimé en faire plus mais il est parti faire ses propres films au Vietnam et il y a eu une séparation. On m’avait dit c’était un homme de droite et même d’extrême droite. Quand je voulais le prendre pour tourner un film en Algérie, tout le monde me disait : “Olala, Coutard en Algérie !” Mais ça c’est passé formidablement. Il aidait les techniciens algériens, il était formidable. Je ne l’ai jamais entendu dire un mot raciste sur les Arabes ou quoi. C’était un homme d’une grande honnêteté intellectuelle. On avait parlé de la droite, de l’Indochine, il avait ses idées mais il avait une grande intégrité. D’ailleurs que cela soit sur le tournage de Z ou de L’Aveu, qui allait plus dans son sens politiquement, il avait la même implication professionnelle.
Vous avez réalisé Le Capital il y a cinq ans. Pourquoi avoir tant tardé à traiter du libéralisme ?
Parce que je n’avais pas trouvé le sujet. En 2006, quand j’ai lu le livre de Jean Peyrelevade, Le Capitalisme total, je me suis dit qu’il était temps. Il y explique que la démocratie actuelle n’est plus qu’un placebo et que si les grands patrons résistent aux actionnaires, ils finissent dehors. Mon film relate cet engrenage.
La démocratie est le thème central de beaucoup de vos films. Que pensez-vous de son état actuel ?
Dans le passé, elle était sûrement différente et meilleure comparé au régime en vigueur dans les pays de l’Est. Maintenant, avec la mondialisation et la prise du pouvoir par la finance, la démocratie s’est beaucoup affaiblie. On ne parle plus d’idées, on ne parle plus d’avenir, on ne parle que d’économie, d’économie, d’économie…
Vous tournez des films d’idées autour de l’Etat, de la liberté, du pouvoir. Ces concepts ont-ils selon vous quitté le débat public ?
L’évolution formelle de nos sociétés existe toujours. Mais elle dépend des banques, des prêts. L’Europe est soumise à un capitalisme extrême.
Face à ces abus du pouvoir, vos films mettent souvent en scène des figures de lanceurs d’alerte. Qu’est-ce qui vous attire dans ce type de personnage ?
Au-delà des lanceurs d’alerte, je suis pour la résistance. Les lanceurs d’alerte ont remplacé les résistants. C’est une figure plus moderne qui m’intéresse beaucoup.
Si on parle des résistances contemporaines, quel regard portez-vous sur Nuit debout ?
Je pense que c’est intéressant. J’aimerais que ça aboutisse à une sorte d’idéologie qui puisse entrer en politique d’une manière ou d’une autre. Je pense aussi à Occupy Wall Street ou aux Indignados de Madrid. Le progrès de nos sociétés passe par de nouvelles idées comme celles qui ont germé dans ces mouvements.
Que pensez-vous du gouvernement Tsípras ?
On ne peut pas critiquer Tsípras sans rappeler qu’il est pieds et poings liés. L’Europe dirige le pays. Elle vend tout ce qu’elle peut sans demander l’avis du gouvernement élu ou de sa population. Alexis fait tout ce qu’il peut mais il dirige une nation en voie de démantèlement. J’espère qu’il va réussir à maintenir la gauche au pouvoir parce que, s’il échoue, la droite va passer et on en aura pour vingt ans.
Et que pensez-vous du succès de succès des idées réactionnaires (Zemmour, Finkielkraut, De Villiers) ?
Ecoutez, chaque maison a ses toilettes ou sa fosse septique, ou ses barbares. Que voulez-vous que je dise de plus…
Comment résister de nos jours, selon vous ?
Je n’ai pas de solution. En tant que réalisateur, j’essaie de poser des questions. L’essentiel d’après moi, c’est l’éducation et la culture. La façon dont les médias éduquent et informent aujourd’hui est un problème. Tout le monde fait du spectacle, ce n’est plus de l’information. La culture médiatique n’est pas ce qu’elle devrait être. Il y a eu un appauvrissement du fait du renouvellement frénétique auquel l’information est soumise.
Souhaitez-vous encore réaliser des films ?
Oui. Il est plus difficile de trouver une histoire juste et qui me passionne mais je suis en train d’écrire un nouveau film. Je ne peux pas encore vous en parler mais il traitera de notre époque.
Propos recueillis par Bruno Deruisseau et David Doucet
Coffret DVD Costa-Gavras, l’intégrale volume 1 (1965-1983), 9 DVD, Arte, 90 €
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