Les films Une main, un visage, une couche, deux corps enlacés : les films de Jean-Paul Civeyrac débutent quasiment tous de cette façon, au plus près de l’intime.
Le couple est pour le cinéaste le sujet central, le lieu de tous les mystères et de tous les questionnements, l’endroit où tout s’origine et qui détermine tout, le motif qui rehausse le geste banalisé, voire dévalué, qui consiste à essayer encore de faire du cinéma. Du cinéma qui engage ceux qui le font et ceux qui le regardent, qui régénère le vieux septième art fourbu, qui ne se contente pas de faire simplement un film de plus. Oui, quand on découvre ou que l’on revoit les films de Jean-Paul Civeyrac, quand on s’immerge dans leur élégance, leur délicatesse, leur beauté à la fois extérieure (leur tenue formelle) et intérieure (la force des personnages), on se dit que le cinéma est encore vivant et sait toujours nous distraire, nous émouvoir et nous élever.
Le couple est donc le motif central de Civeyrac, décliné sous plusieurs facettes selon les films : naissance du premier émoi amoureux chez de jeunes ados (Ni d’Eve ni d’Adam), présence spectrale de l’être aimé disparu (Les Solitaires, A travers la forêt), mise à l’épreuve de sa capacité à aimer, à ressentir, à se décentrer de sa gangue narcissique pour se projeter dans l’autre (Le Doux Amour des hommes). Aimer, être aimé, c’est exister, semblent dire les films de Civeyrac, comme si une histoire d’amour était la meilleure preuve de sa propre présence au monde.
Mais si la présence d’un couple était suffisante, 90 % des films seraient des chefs-d’œuvre : c’est bien sžr le regard de Civeyrac qui fait la différence. Le cinéaste semble amoureux de l’idée même de couple, y compris quand il dysfonctionne, quand il est en crise, et porte sur les amants un regard bienveillant, un regard d’artiste et de poète. Il filme leurs corps, leurs visages, leurs étreintes avec la grâce d’un peintre, place dans leurs bouches des dialogues finement ciselés, paroles qui parfois laissent la place à des chansons, des refrains humés. Les voix, leurs timbres, leurs variations d’intensité sont très importants chez Civeyrac, cinéaste sensible de l’ouïe qui tient en cela de Demy. Comme sont importants chez lui les clairs-obscurs qui sculptent les corps, les lumières d’hiver, les ramures d’arbres effeuillés, les musiques…
Civeyrac, cinéaste discrètement lyrique (une mélodie fredonnée ou de la musique de chambre plutôt que des chœurs d’opéra), aura tenté de filmer dans ces huit premiers films la chose la plus volatile, la plus mystérieuse, la plus difficile à encapsuler, à mesurer, à quantifier, et à filmer : le sentiment amoureux Ð une chose aussi présente-absente, aussi concrète-immatérielle qu’une image de cinéma. Et il y aura réussi, tout en montrant la difficulté d’une quête vouée à l’inachèvement ou à l’éternel recommencement. Chez lui, être amoureux, être cinéphile, filmer des actrices et acteurs, c’est la même chose.
Les DVD Edition de classe, bonus exceptionnel. Un DVD-Rom où l’on découvre une réalisation multimédia de l’artiste Grégory Chatonsky dont les données techniques un peu compliquées sont résumées dans le livret : une sorte de montage sensoriel où se succèdent extraits sonores et plans recadrés des films de Civeyrac. Comme si Chatonsky traduisait ce qui demeure dans la mémoire d’un spectateur de cinéma : plans marquants, bribes de dialogues, fragments d’images comme des échos assourdis surgis des brumes de la mémoire. Une relecture de l’œuvre de Civeyrac qui réussit à donner la sensation que procurent ses films tout en restituant la façon dont ils nous travaillent et nous hantent longtemps après les avoir vus.
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Serge Kaganski
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