Le comeback de l’acteur dans son éternel rôle de patriarche réac se vautre dans un racisme qu’il prétend dénoncer, a trop peur de traiter, et finit par embrasser totalement.
Bravo à lui : un twitto, scénariste de BD de son état, avait dès 2019 prophétisé le pitch de Cocorico – “vu la mode des tests ADN en ce moment, je prévois un film dans lequel un type riche de droite découvre qu’il a de la famille pauvre et/ou étrangère grâce à un de ces tests. Ils vont se détester puis apprendre à vivre ensemble. Et il y aura Christian Clavier.” Et le film fut : signé par un ancien auteur des Guignols et coscénariste des Tuche, Cocorico correspond en tout point à cette description visionnaire et offre à Clavier un nouveau rôle de patriarche droitard, chamboulé dans son train-train aristocrate le jour où sa fille, qui s’apprête à épouser un modeste roturier, décide de faire passer aux parents et beaux-parents un test ADN.
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Des prémisses qui font remonter toute une époque déjà quelque peu révolue : celle du Bon Dieu de Philippe Chauveron, bien sûr, et plus largement de toute une claviersploitation devenue à la fin des années 2010 un sujet de parodies, de générateurs de films, de caricatures dans lesquelles l’ex-Bronzé ne pouvait finalement persister sans une once de second degré, et dont il avait fini par s’éloigner. Son grand retour à ce format fait l’effet d’une blague, sorte de méta-Clavier un peu trop conscient de lui-même.
Bourgeois versus aristocrates
En réalité Cocorico ne déploie pas vraiment la comédie attendue d’expiation des mauvaises consciences racistes françaises, et dont on aurait pu imaginer une généreuse prolifération de personnages et de situations sur un temps relativement long. Le film est plus resserré, presque spartiate dans sa quasi-unité de lieu et de temps qui lui donne des airs d’adaptation de boulevard. Pratiquement toute sa durée est avalée par une scène très étirée de découverte des résultats, précédée d’un prologue organisant une autre confrontation inattendue, assez curieuse au regard de toute une histoire de la comédie de fracture sociologique incarnée notamment par Bourdon (Les Trois frères et surtout Le Pari) : au clash structurant d’une bourgeoisie de droite contre un prolétariat de gauche, le film substitue un nouveau match plus conforme à son temps, celui de la droite contre la droite – bourgeoisie LR contre aristocratie héréditaire.
En marge de ce combat du SUV et de la berline qui est véritablement le seul terrain de comédie avec lequel il s’amuse un peu, Cocorico se montre donc surtout embarrassé par son incapacité à trousser le film qu’il s’était promis de livrer, se rangeant assez commodément sur un traitement qui maintient l’étranger à l’état de pure virtualité. À l’exception d’une gouvernante portugaise, il n’y a presque pas un personnage venant incarner cette altérité que les réacs rejettent. Aussi la réflexion sur le racisme tourne très vite à un débat de blague Carambar prudemment encadrée par des stéréotypes intra-européens : la châtelaine toscane fait un malaise en se découvrant du sang lusitanien; le fier concessionnaire Peugeot apprend avec horreur son ascendance allemande; et quand tout le monde s’attend à ce que le test ADN tende au nobliau un miroir qui l’assimile aux victimes supposées de son propre racisme, donc à un arabe, on nous dégaine du sang cherokee.
Une arnaque
Manière d’abord de dépolitiser ridiculement le film, qui trouve le moyen aberrant de parler de racisme sans parler d’immigration – régler son compte à la xénophobie sans quitter l’espace Schengen, il fallait oser. Manière surtout, paradoxalement, de sortir sans aucun garde-fou toutes ses ordures mentales, comme si le choix de cibles neutralisées, de peuples avec lesquels “on a le droit”, donnait au film une licence à ne plus rien penser et à se soulager librement de ses insanités les plus diverses.
C’est toute l’arnaque de Cocorico : prétendre parler très crûment de racisme, éviter soigneusement les seuls sujets délicats, et finalement se lâcher indignement sur de malheureux portugais, allemands et autochtones d’Amérique qui auront la courtoisie de ne pas créer de polémique. Philippe de Chauveron avait, au moins, celle de mettre les pieds dans le plat. On le regretterait presque.
Cocorico par Julien Hervé avec Christian Clavier, Didier Bourdon. En salle le 7 février
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