Annoncé inopinément quelques heures avant sa mise en ligne par un spot diffusé en plein superbowl, « Cloverfield paradox » a bénéficié d’un lancement surprise réussi en terme de marketing. Intégré au forceps dans le concept de la franchise, dispendieux dans sa production mais très cheap au final, le film est en revanche une calamité.
« It’s not TV. It’s HBO » se vantait (à raison) la célèbre chaine câblée américaine à la fin des années 90. « It’s not cinema, it’s Netflix » serait aujourd’hui un tout aussi juste slogan pour son concurrent connecté. C’est qu’une fois les coups marketing passés, restent les œuvres. Et il commence à devenir visible que celles-ci, du moins pour ce qui concerne les longs-métrages de fiction — il en va autrement pour les séries et les documentaires —, ne sont pas au niveau des ambitions, à l’exception notable des deux sélectionnés à Cannes (Okja et Meyerowitz Stories) sur le dos desquels Netflix a justement bâti sa réputation de producteur de cinéma, de vrai.
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Parlant de coup marketing, celui qui a présidé à la sortie de ce Cloverfield Paradox est, il faut bien le concéder, de toute beauté. Alors qu’on regardait paisiblement, les doigts graisseux de chicken wings, les publicités de la mi-temps du Super Bowl, un spot nous annonça que le troisième volet de Cloverfield, que personne n’attendant, serait disponible à la fin du match (magnifique, au passage), c’est-à-dire deux heures plus tard. Out of the blue. Netflix venait ainsi de décliner la « stratégie Beyoncé », qui consiste à lâcher sur le marché un album comme une bombe nucléaire, sans préavis.
Las : plutôt que d’une bombe nucléaire, c’est d’un coussin péteur que ce film-ci fait l’effet. Cloverfield Paradox est en réalité un vieux projet repackagé, un scénario intitulé God’s Particle, qui trainait depuis des années dans les tiroirs poussiéreux de Paramount, et dont J.J. Abrams eut l’idée, apparemment tardive, de faire un prequel aux deux premiers Cloverfield, qu’il avait produit. Leur réussite tenait d’abord dans l’adéquation entre un high concept parfaitement tenu (l’apocalypse en DV pour l’un, l’apocalypse encavé pour l’autre), et un budget de série B lui aussi tenu (respectivement 25 et 15 millions $).
Or non seulement ce troisième opus ne s’inscrit qu’au forceps dans l’univers de la franchise (qui n’était certes pas d’une folle cohérence), mais il apparaît aussi comme un désastre industriel, à la fois beaucoup plus cher que prévu (on parle d’un budget initial de 5 millions $ multiplié par huit…) et manquant pourtant cruellement de moyen (tout est toc). Flairant l’aubaine et sans crainte du bad buzz, comme à son habitude, le géant du streaming a racheté le film au studio, le sauvant d’un crash assuré en salles, mais ne pouvant toutefois pas masquer sa vraie nature : un naufrage.
Un naufrage sur un autre naufrage : celui d’une station spatiale, en orbite autour d’une Terre ravagée par les guerres et les pénuries, où l’on tente de produire une énergie illimitée grâce à un accélérateur de particules embarqué. Mais rapidement, une avarie frappe le vaisseau, et ses sept membres d’équipage se trouvent dans une délicate situation qu’on pourrait décrire, sans trop spoiler, comme une tentative, par Catherine et Liliane sous Stilnox, d’exploiter quelques concepts de pointe de la physique contemporaine. Multiverse, boson de Higgs, brisure d’espace-temps, intrication quantique : tout y passe dans un name-dropping absurde, censé nous faire accepter les béances de scénarios, les situations rebattues et les dialogues ineptes.
Pour donner à son rafiot un peu de lustre, le réalisateur Julius Onah tente de le repeindre aux couleurs d’un nombre incalculable de classiques de la SF, de Solaris à Interstellar, de 2001 à Gravity, en passant par Alien et la Guerre des Mondes, et ne fait au contraire que l’alourdir. Tandis qu’au milieu de ce mash-up aberrant, de gentils astronautes se demandent ce qu’ils foutent là (Zhang Ziyi, Chris O’Dowd, le portoricain John Ortiz interprétant un Brésilien, ou le Norvégien Aksel Hennie faisant un Russe)…
Et puis, enfin, il y a le spectateur, ce spectateur crédule attiré par la lumière, qui viendra ici brûler deux heures de son temps, et ne pourra même pas s’en plaindre : car dans l’espace du streaming, personne ne vous entend crier.
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