Egérie du plus beau cinéma d’auteur des années 2000, Clotilde Hesme fait un come-back tonitruant dans Diane a les épaules, comédie fine et sensible sur la GPA. Rencontre avec une actrice vive et drôle.
Elle était allée aux confins d’une veine tragique et sombre. Diane a les épaules, premier long métrage de Fabien Gorgeart, offre à l’actrice révélée dans Les Amants réguliers de Philippe Garrel (2005) l’écrin idéal à son retour sous des latitudes plus comiques et lumineuses. Elle y incarne une trentenaire qui accepte d’être mère-porteuse pour un couple d’amis gays. Mais la quiétude de ce trouple est troublée lorsque Diane tombe amoureuse d’un autre homme. Etincelante, la comédienne y badine avec l’amour, les codes de genre et le prétendu instinct maternel.
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Comment es-tu entrée en contact avec Fabien Gorgeart ?
Clotilde Hesme — Je crois qu’il avait envie de travailler avec moi. Après avoir fait ensemble un court métrage en 2012, il a commencé à écrire Diane a les épaules en pensant à moi, avec une histoire assez intime et des thématiques sur les nouvelles formes de parentalité qu’il avait déjà interrogées dans ses précédents courts métrages. Je trouvais intéressant de voir ce que provoque le fait de mettre une phrase écrite par un homme dans la bouche d’une femme, telle que “je sais séparer ma tête de mon ventre”. Il y avait cette idée que ce n’est pas si simple de considérer un utérus comme un simple réceptacle sans aucune ramification psychique.
Je trouve génial qu’un homme écrive un rôle de femme aussi libre et complexe. C’est pour moi profondément féministe car on sait que l’émancipation des femmes ne s’accomplira pas sans la participation des hommes. A titre plus personnel, j’ai souvent eu l’impression d’accompagner les rôles masculins principaux alors qu’ici, j’avais vraiment un rôle de premier plan.
As-tu le sentiment qu’il s’agit de ton plus grand rôle ?
Fabien m’a inventée telle que je suis ou telle que j’avais envie d’être. Je ne pensais pas pouvoir faire preuve d’autant de légèreté et de force comique. Au début du tournage, il croyait en moi alors que je lui disais qu’il ferait mieux de choisir une autre actrice. Je n’avais jamais eu un rôle si pétillant et en même temps si fort, lesté d’une certaine mélancolie. Il m’a permis d’être bigger than life, quitte à en faire des caisses. Je n’avais pas connu ça, à part dans Mystères de Lisbonne où Raúl Ruiz me disait “n’y va pas avec le dos de la cuillère”. Même physiquement, il m’autorisait à déborder du cadre, à être plus grande que mes partenaires. Par le passé, les réalisateurs m’ont au contraire souvent demandé de m’adapter au cadre ou de faire en sorte d’être à la même hauteur que mes partenaires masculins.
Ce qui est remarquable dans Diane a les épaules, c’est que malgré le sujet potentiellement épineux de la GPA, le film est d’une justesse et d’une sensibilité folles…
Oui, à aucun moment le film ne se transforme en un parcours sacrificiel ou moral. Tout en rappelant le vertige psychologique qu’implique le fait d’avoir un être vivant dans son ventre, il évite le discours général sur la GPA (gestation pour autrui – ndlr) pour lui préférer la subtilité du cas par cas. Il met en scène des situations où chacun est libre d’inventer son propre rapport à la parentalité, échappant au cliché de l’instinct maternel surpuissant. Je crois à l’amour d’une mère mais je ne crois en revanche pas à l’instinct maternel.
Tu étais enceinte au début du tournage et vous en avez profité pour tourner la très belle séquence de la piscine, puis tu as accouché et vous avez tourné le reste. As-tu utilisé cette maternité toute fraîche dans la construction du personnage de Diane ?
J’étais enceinte de mon second enfant. Pour quelqu’un qui n’a pas d’instinct maternel, deux enfants c’est beaucoup, non ? Nous savions que filmer mon ventre dans les derniers jours de la grossesse produirait quelque chose de fort à l’image. Mais je n’ai pas voulu me servir de cette grossesse récente dans le film, même si elle créait forcément une forme de vertige. Penser à mon propre enfant quand il s’agissait de celui de Diane aurait justement tiré le film vers une dimension sacrificielle que nous voulions éviter.
Le film tend à bousculer les stéréotypes de genre, ce qui nous amène à parler de #balancetonporc. Que t’inspire cette libération de la parole des femmes ?
A titre personnel, ce n’est pas le médium que j’utiliserais pour dénoncer quoi que ce soit. Je ne suis inscrite sur aucun réseau social et j’ai toujours éprouvé une méfiance vis-à-vis d’internet. Je trouve génial que la parole se libère mais je crains l’effet d’actualité. Je me demande si, après le buzz, nous punirons décemment les auteurs de ces harcèlements et si nous allons véritablement accompagner les femmes qui en sont victimes.
As-tu perçu le climat de harcèlement qui gangrène l’industrie du cinéma ?
Je ne me suis jamais vraiment sentie harcelée. Je fais bien la différence entre la séduction inhérente à nos métiers et le harcèlement qui est un sport national. Il serait vraiment temps que l’on change de sport. Ma pire expérience à ce niveau s’est produite lorsque j’avais 18 ans et que j’ai rencontré Jean-Pierre Mocky. Il m’a regardé droit dans les seins et il m’a dit : “Vous pensez vraiment que vous allez faire du cinéma avec ce que vous avez ?” Connaissant le personnage, je l’ai pris pour une forme d’humour, mais c’était vraiment lourd.
A travers les personnages que tu incarnes, as-tu le sentiment de défendre un certain renversement des codes du féminin ?
Oui, je pense avoir abordé ce métier par un autre biais que celui de la mise en avant d’une féminité exacerbée, et c’est d’ailleurs peut-être une des raisons qui font que j’ai été moins touchée par le harcèlement que certaines. J’avais un rapport au corps et à la séduction beaucoup plus frontal. Ayant été mannequin avant d’être actrice, j’ai sûrement eu le désir d’aller à l’opposé des stéréotypes sur la féminité auxquels j’avais été confrontée. Donc je me sens complètement concernée par ce qui se passe aujourd’hui. En fait, je crois qu’en tant que femme, il faut être un peu casse-couilles, même dans le sens littéral. Comme ça, on ne t’emmerde pas. En développant une part masculine aussi forte, j’ai sans doute voulu échapper à ce féminin un peu encombrant dans certaines situations. Maintenant, avec Diane a les épaules, je reconquiers mon féminin pour pouvoir soutenir mes congénères !
Tu as souvent eu des rôles dits masculins, à l’image de ta réplique dans Angèle et Tony, où tu proposes très crûment à Grégory Gadebois de baiser. On imagine d’ailleurs tout à fait la même réplique dans la bouche de Diane…
Oui, c’est elle la prédatrice. Elle est rentre-dedans, brute. Elle prend à rebours les codes de la drague hommes-femmes et c’est amusant. Il faut redéfinir tout ça et nous sommes en train de le faire. Je pense que ça doit passer par une forme de révolution. Mais pas sans les hommes, et la remise en question de la masculinité dont ils souffrent aussi.
Après ton César du meilleur espoir féminin en 2012, on t’a paradoxalement moins vue en égérie du cinéma d’auteur français, comment l’expliques-tu ?
J’avais déjà le sentiment étrange que l’Académie s’était un peu gourée en me donnant un César du meilleur espoir cinq ans après Les Chansons d’amour. Après avoir tourné avec Honoré, Garrel, les frères Larrieu, Bonello et Ruiz, je n’avais plus vraiment l’impression d’être un espoir. Mais je crois que la nature de cette récompense est aussi due à la politique interne des César, qui m’intéresse peu.
Si je suis fière d’avoir pu commencer ma carrière avec des auteurs si talentueux, j’avais l’impression d’être installée dans une géographie très parisienne et j’ai eu envie de changer d’air. Je viens de la campagne et, plus je vieillis, plus j’ai besoin d’y retourner. En commençant à travailler avec Alix Delaporte, j’étais très contente de quitter Paris, d’être dans un rapport plus direct avec la nature et avec les gens du milieu dans lequel j’ai grandi. J’ai bien senti que mon déplacement dans un cinéma plus “populaire” n’était pas du goût de tout le monde et j’avais presque le sentiment de trahir une certaine famille de cinéma que les gens avaient projetée sur moi. Mais je ne regrette rien.
Entre ton meilleur rôle et la reconquête de ta part féminine et comique, Diane a les épaules est vraiment le film du renouveau pour toi…
Oui. Après, on porte la responsabilité des signaux que l’on envoie. Par le passé, les miens étaient sûrement plus de l’ordre de la mélancolie, voire du tragique. Après Les Chansons d’amour, je n’ai plus retrouvé la même légèreté. Et puis Les Revenants n’a pas fait du bien à ma force comique. Dans cette série, je pense être allée au bout du tragique, ou même de la morbidité, avec cette attirance pour les limbes. Diane a les épaules est arrivé au bon moment. J’attendais un rôle aussi solaire depuis longtemps.
Diane a les épaules de Fabien Gorgeart, en salle le 15 novembre
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