Reprise du premier chef-d’œuvre du cinéaste iranien : la grandiose histoire d’un imposteur qui se fait passer pour un cinéaste célèbre.
Le dernier roman de l’écrivain américain Herman Melville, The Confidence-Man (en anglais, cette expression d’“homme-confiance” veut dire “escroc”), raconte les métamorphoses d’un personnage qui se fait passer pour d’autres auprès des nombreux passagers d’un bateau. Sa tactique, au-delà du déguisement, est langagière : chaque conversation engagée avec ses proies tourne autour d’un seul mot, celui de confiance.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Déployant les ambiguïtés de la notion, l’homme-confiance gagne leur cœur en appelant au retour de la confiance dans le monde, et avant tout la confiance dans les mots. Par ce resserrement sur ses propres conditions de crédibilité, le roman devient une sorte de chef-d’œuvre obsessionnel sur la littérature.
L’histoire vraie d’un mensonge
Close-up d’Abbas Kiarostami (1990) a été reconnu dès sa venue au monde comme un chef-d’œuvre de “film sur le cinéma”. Il déchiffre à son tour une figure d’escroc. Il nous parle de notre confiance dans le cinéma et de son double exact, notre méfiance envers le monde.
Close-up raconte l’histoire vraie d’un mensonge : un homme, Sabzian, se fait passer pour le célèbre cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf auprès d’une famille de Téhéran à qui il propose de tourner un film. Démasqué, il est arrêté et jugé. D’une part, le film décrit l’arrestation et le procès de Sabzian, les raisons par lesquelles il explique ses actes.D’autre part, Close-up rejoue l’affaire, en reconstitue les étapes avec les personnes qui l’ont vécue et qui jouent leur propre rôle.
L’amour du cinéma
L’amour du cinéma, son importance dans la vie du cinéaste sans œuvre Sabzian et dans celle de la famille Ahankhah, aussi bien que la faculté du cinéma à ne faire qu’un avec la vie (celle de ses spectateurs, celle de ses auteurs, à l’endroit énigmatique où à leur tour ils ne font qu’un), sont ici mis en procès. Mais pas pour interroger la supposée frontière entre vérité et mensonge, entre fiction et documentaire, entre vie et art.
Ces distinctions sont évacuées d’entrée de jeu, peut-être dans le geste du chauffeur de taxi, coup de pied lancé dans une bombe aérosol vide dévalant la rue en pente.
Tendre accolade
Non, Close-up prend entièrement le parti de Sabzian, le parti de la fiction : rien que le cinéma. La fin du film, emportant sur une même moto le faux et le vrai Makhmalbaf, où ce dernier s’avoue “fatigué” d’être lui-même, se donne comme un pur transport.
Le bus où Sabzian rencontre Mme Ahankhah, le taxi qui sert à son arrestation, la moto qui le réconcilie avec son rôle, comme le bateau de Melville, sont les véhicules d’une vraie sortie. Si elle nous émeut aux larmes, ce n’est pas parce qu’elle nous redonne confiance dans le monde, mais parce que nous nous rendons entièrement au film, y cédant, soulagé, comme à une tendre accolade.
Close-up d’Abbas Kiarostami (Iran, 1990, 1 h 38, reprise)
{"type":"Banniere-Basse"}