Adaptation édulcorée du superbe roman de Richard Price, Clockers n’offre qu’une vision branchée du ghetto.
Y a-t-il encore quelque chose à attendre de Spike Lee ? Do the right thing, son dernier film vraiment réussi, remontant à cinq ans, il a fallu se mettre sous la dent des films aussi gênants que Mo’ better blues, avec un final digne du pire sitcom, et le terrible Malcolm X qui, après une première heure brillante, s’empêtrait dans une hagiographie sans finesse dominée par le voyage de Malcolm en Egypte et les prises de vue des pyramides dignes d’un dépliant publicitaire produit par Dégriff’tours. Même le plus fervent admirateur de Spike Lee, prêt à revêtir tous les jours de la semaine sa collection de casquettes et de T-shirts, à accrocher sa photo au-dessus de son lit et à gober tous ses discours à l’arrière-fond raciste et antisémite distillés au nom de la souffrance du peuple noir, devra se rendre à l’évidence après avoir vu Clockers : Spike Lee n’est plus. Disparu. Téléporté dans une région obscure de l’entertainment hollywoodien où les ghettos sont propres, les dealers compréhensifs, les drogués en bonne santé et les flics généreux, tous habités par un idéal de justice en béton armé. Clockers ne se déroule pas en Egypte mais à Brooklyn, à deux pas des bureaux de Spike Lee : il faut croire qu’une fois sorti de son loft, il ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Il y avait pourtant un grand film à tirer de Clockers, le formidable roman de Richard Price (réédité ces jours-ci en poche, chez Pocket). Pour l’écrire, Price avait passé trois ans à Jersey City, mettant casque et treillis, pour traîner avec des flics honnêtes ou pourris et des dealers, psychopathes pour certains, obsédés par la religion pour d’autres, incapables d’aligner plus de deux mots de suite pour la plupart. Le résultat de ce travail donnait un livre exceptionnel sur les Noirs, les Blancs, les flics, les civils, et la guerre entre minorités. Spike Lee a-t-il seulement lu ce livre ou lui a-t-on envoyé par mégarde la version abrégée parue dans le Reader’s digest ? Du livre, il reste les deux protagonistes, Strike le dealer faussement accusé de meurtre, Rocco Klein, le flic (Harvey Keitel, médiocre et mal dirigé) lancé à sa poursuite, et une histoire débarrassée de l’arrière-fond sociologique et anthropologique mis en place par Price. C’est plutôt un téléfilm que nous offre Spike Lee : branché, avec des chansons à la mode placées n’importe comment, lumineux comme les barbes à papa de la foire du Trône. De ce potage sans forme, on peut sauver une scène sur le cynisme ordinaire urbain où des flics font l’autopsie d’un Noir assassiné, avec une décontraction digne de vacanciers, comme si le corps d’un macchabée noir était devenu un spectacle si courant qu’il méritait à peine le détour. Dans le générique du début, avec une série de clichés d’adolescents noirs morts d’overdose, Spike Lee nous plonge la tête dans le quotidien brutal du ghetto. Malheureusement, il nous la retire une fois son film commencé, oubliant au passage son sujet et son devoir de cinéaste.
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