A l’occasion d’une rétrospective en 1997, Jean-François Rauger décryptait l’oeuvre de Clint Eastwood, d’Un frisson dans la nuit aux Pleins Pouvoirs, qui oscille depuis ses débuts entre mise à mal des mythes et tentative de restauration de la croyance. Le tout suivi de la filmographie du réalisateur.
En dix-sept films, Clint Eastwood cinéaste est parvenu à construire ce que l’on aurait raison d’appeler une oeuvre. S’il y a parfois des différences de degré, il n’y a pas de différence de nature entre des films comme Le Retour de l’inspecteur Harry et Bird, La Relève et Impitoyable, La Corde raide et Chasseur blanc, coeur noir, Les Pleins pouvoirs et Breezy : cet ensemble forme en effet une masse plus cohérente qu’il n’y paraît. Ce qui donne avant tout à sa production ce caractère unique et immédiatement identifiable, c’est cette volonté de faire cohabiter dans le même film des émotions contradictoires, d’additionner comique et tragique, conventions de genre et digressions documentaires, puissance et subtilité, bâclage formel et composition chiadée. L’asymétrie boiteuse est la forme centrale de son cinéma. Eastwood est lui-même le principal sujet de ses films. Et il est de ceux qui, en passant par le mythe et parfois le surnaturel, ont su prouver la force fondamentalement réaliste du cinéma hollywoodien. Tel plan, telle séquence épinglent un moment de vérité pure. Honky-tonk man, La Corde raide et Les Pleins pouvoirs introduisent par exemple le sentiment – trop sincère pour ne pas être autobiographique – d’un temps qui passe et éloigne inéluctablement père et enfants. Le personnage expérimente plus souvent qu’il n’y paraît la perte de maîtrise. Dans ces conditions, Eastwood est-il moderne ou archaïque ? « Comment bouleverser tout en maintenant » est la problématique de sa biographie de Charlie Parker, Bird. Si la filmographie d’Eastwood évoque bien une révolution, ce mot serait à entendre au sens copernicien du terme : une rotation, une involution. Ce retour en arrière ne renierait pas l’expérience vécue mais l’intégrerait comme un élément moteur qui enclencherait la rétroaction. Il n’y a de beauté que dans la mélancolie de la réaction. Comme la prière de l’adolescente de Pale rider semble provoquer l’apparition quasi surnaturelle du justicier solitaire, Eastwood est à la recherche d’une croyance primitive dans un univers désabusé.
En 1976, Josey Wales hors-la-loi a marqué, comme une borne frontière, le projet eastwoodien. Voilà un film qui débute comme du Sergio Leone et s’achève comme du John Ford. L’auteur de Bronco Billy a mis en scène de nombreux récits (L’Inspecteur Harry, Josey Wales, Pale rider, Impitoyable) qui culminaient avec l’apparition de son personnage comme un surgissement fabuleux. Cinéaste de la pénombre, sa mélancolie s’exprime essentiellement par le recours de plus en plus important à l’obscurité. Firefox, Bird, Le Maître de guerre, Impitoyable décrivent un univers qui s’obscurcit progressivement. C’est que l’avènement cinématographique de la statue héroïque n’est pas le contraire de la quête d’une réalité humaine. Elle n’est qu’une déclinaison du motif pictural qui hante l’oeuvre eastwoodienne : l’effacement progressif du visage humain. Tout le projet du cinéaste semble ne viser qu’un aboutissement ultime, l’écran noir.
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1971 | Play Misty for me (Un frisson dans la nuit) |
1973 | High Plains Drifter (L’Homme des hautes plaines & Breezy |
1975 | The Eiger Sanction (La Sanction) |
1976 | The Outlaw Josey Wales (Josey Wales, hors la loi) |
1977 | The Gauntlet (L’Epreuve de force) |
1980 | Bronco Billy |
1982 | Honky Tonk Man & Firefox (L’arme absolue) |
1983 | Sudden Impact (Le retour de l’Inspecteur Harry) |
1985 | Pale Rider (Le Cavalier solitaire) |
1986 | Heartbreak Ridge (Le Maître de guerre) |
1988 | Bird |
1990 | White Hunter, Black Heart (Chasseur noir, coeur blanc & The Rookie (La Relève) |
1992 | Unforgiven (Impitoyable) |
1993 | A perfect world (Un monde parfait) |
1995 | The Bridges of Madison County (Sur la route de Madison) |
1996 | Absolute Power (Les pleins pouvoirs) |
1997 | Midnight in the Garden of good and evil (Minuit dans le jardin du bien et du mal) |
1999 | True Crime (Jugé coupable) |
2000 | Space Cowboys |
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