Revoir l’oeuvre de Claude Sautet, grâce au cycle de films que Canal + lui consacre, balaye le cliché éculé de réalisateur franchouillard pompidolien-giscardien qui lui colle à la peau. A découvrir, sa filmographie en image dans notre galerie photo.
Disparu l’année dernière, Sautet a fait treize films en trente-cinq ans de carrière. Il ne matraquait pas, préférant rester le meilleur ?ressemeleur de scénarios? du cinéma français. L’expression est de Truffaut, qui aimait bien Sautet en général, et Vincent, François, Paul et les autres en particulier. Canal + diffuse jusqu’au 14 juillet onze films du cinéaste. Manquent seulement César et Rosalie et Nelly et Mr. Arnaud. Chef-d’ uvre de forme, Max et les ferrailleurs (1970) est aussi un discours de la méthode, un film policier à l’envers où c’est le flic (le cinéaste-scénariste) qui inspire leur crime aux petits truands de Nanterre, et les manipule jusqu’à les faire tomber dans ses filets.
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Si Piccoli est grandiose en Max, professionnel hawksien jusqu’à l’idée fixe, personnage vide qui ne peut se remplir que de son propre ordre des choses, au mépris de la Loi comme de la plus élémentaire morale, ce personnage sera repris en partie par Auteuil dans Un c’ur en hiver. Max et Stéphane sont tous deux des êtres opaques, dont le seul secret est l’absence de secret, et qui seront dépassés par leur stratagème. Belle parabole de Sautet quant à son propre cinéma, si amoureusement assemblé, si peu enclin à l’ouverture ou à la béance, et pourtant rongé de l’intérieur par l’impérieuse nécessité de concilier la construction artificielle susceptible de plaire au plus grand nombre et la part de confession. Dans son désir de façonner ses films avec des modes de représentation admis, selon les canons formels du cinéma hollywoodien classique qu’il admirait tant, Sautet n’oublie pas de traiter la part de vanité que contient cette entreprise : le flic comme le luthier sont des infirmes affectifs.
Irréprochables techniquement, strictement calibrés, les plus beaux Sautet dérapent à mesure qu’ils suivent la pente phobique de leurs personnages. Et c’est ce mouvement dialectique entre enfermement (souligné par des hommes sous vitres, où se dessinent les reflets d’une vie à laquelle ils n’ont pas accès, jolie trouvaille plastique) et irruption de la vitalité (toujours représentée par une femme, là et déjà ailleurs) qui anime Max et les ferrailleurs, Quelques jours avec moi, Un c’ur en hiver et Nelly et Mr. Arnaud. Ces films-là sont les meilleurs, car les plus sincères et les plus profonds, ceux où Sautet trouve son équilibre parfait entre ses exigences d’artisan et son sujet de cinéaste : l’absence au monde et la cruelle revanche que celui-ci finit toujours par prendre.
Mais quand il traite le genre, que ce soit le film noir avec Classe tous risques ou la comédie sentimentale avec César et Rosalie, Sautet se donne tellement de mal pour ordonner sa mécanique que ces films restent agréables à regarder, pas sublimes mais un peu plus que plaisants, parfois impressionnants de maîtrise. Dans Vincent, François’, Sautet assume sans fards une fiction minimale, et parvient à échapper à toute lourdeur en transformant des existences bloquées en autant de rythmes différents. L’air du temps passe finalement au second plan, et ce film-symbole du cinéma de Sautet ne tient que sur l’accord parfait trouvé par le chef d’orchestre et ses interprètes dans un swing commun, une même euphorie en mineur. Alors qu’Un mauvais fils frappe par sa sécheresse, sa dureté de film taiseux. Il faudra certes attendre le magnifique Quelques jours avec moi pour que Sautet finisse d’accomplir sa mue, et jouisse enfin pleinement de son talent dévastateur pour le mélange des genres et des figures sociales, mais ses films précédents sont autant de balises sur le chemin d’un cinéaste qui est parvenu à se livrer tout entier (Nelly , autoportrait subtil) tout en faisant de son classicisme une épure.
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