De Jean-Luc Godard à Yves Robert, le célèbre comédien, décédé ce mardi 22 décembre, a joué dans plus de cent films mais aussi au théâtre et à la télévision.
La mort à 84 ans de Claude Brasseur, annoncée mardi 22 décembre, rend singulièrement triste, parce qu’il appartient, probablement sans en avoir pleinement conscience, à une ciné-famille qui est la nôtre, celle qui Bande à part depuis 1964 et le film éponyme de Jean-Luc Godard, et son immarcescible scène de Madison dans un bistrot entre Anna Karina, chef de choré irradiante de beauté, et Sami Frey, ténébreux sur-sexy. Un trio éternellement jeune, déluré (cf. la non moins patrimoniale visite du Louvre en 9 minutes et 28 secondes) et libidineusement rebelle, le sous-texte du film faisant l’éloge du ménage à trois.
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Certes Claude Brasseur a aussi joué dans des films nettement moins mémorables. Mais quel acteur n’aurait par des trous d’air dans sa carrière, au terme de plus de cent films, une trentaine de téléfilms et presque autant de rôles au théâtre (dont quelques intenses succès grand public comme Le Dîner de cons de Francis Veber en 1993, ou critique comme le George Dandin ou le Mari confondu de Molière, mise en scène par Roger Planchon au TNP de Villeurbanne en 1987) ?
Ne retenons donc que ce qui nous rapproche plus que ce qui nous éloigne. En précisant, foin de snobisme, qu’on a évidemment adoré Claude Brasseur dans des productions populaires comme La Boum de Claude Pinoteau (1980), où on admira sa patience en papa de Vic (Sophie Marceau), ado plus que turbulente, et bien sûr plus récemment dans Camping de Fabien Onteniente (2005), où il fit feu d’une formidable beauferie (un rôle de composition) dans la peau et les tongs de Jacky Pic, retraité amateur de pastis et vociférant du FN au camping les Flots Bleus de Pyla-sur-Mer.
Pour dire l’éclectisme de Claude Brasseur, l’année 1976 est emblématique : il passe d’Attention les yeux ! de Gérard Pirès à Barocco d’André Téchiné, avant d’attaquer Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert. Arrêt sur l’image de ce dernier film : une histoire de copains où il n’accepta le rôle d’un homosexuel qu’à condition de lui donner une fragrance hétéro très loin de la cage aux folles. Le trouble ainsi induit est saisissant et lui vaudra un César mérité du meilleur acteur dans un second rôle.
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Un acteur engagé quand il le fallait
Ce n’est pas un hasard si Claude Brasseur se retrouvait dans un film du “gauchiste” Yves Robert : il était à coup sûr un acteur engagé quand il le fallait. Pour preuve, outre Rouletabille dans Le Mystère de la chambre jaune de Jean Kerchbron (1965), deux interprétations qui en feront une star de la télévision sous la direction de Marcel Bluwal, longtemps membre du Parti Communiste : Le Dom Juan de Molière (1965), où il campe un Sganarelle prolo bouleversant de désolation aux côtés de l’aristocratique Michel Piccoli, et la série en treize épisodes des Nouvelles aventures de Vidocq (1971-1973), où il joue à merveille l’ambiguïté schizophrène d’un bagnard devenu flic. Ajoutons que cette incarnation, débordante de virilité sans être menaçante, troubla à vie la libido de bien des garçons sensibles qui consignèrent sur leur agenda sentimental le grain de beauté affolant qu’il avait sur une aile de son nez.
Il faut rappeler aussi quelques autres “bricoles” : un petit rôle, mais tout de même, d’enquêteur dans Les Yeux sans visage de Georges Franju, (1960) ou celui d’un brave type prisonnier de guerre dans Le caporal épinglé (1962) de Jean Renoir.
Encore plus consistant au fil du temps : un avocat véreux dans Une belle fille comme moi de François Truffaut (1972) où il fait chanter la belle fille (Bernadette Laffont) ; l’amant trouble de Romy Schneider dans Une histoire simple de Claude Sautet (1978) ; un pilote de ligne éconduit par Nathalie Baye et partant bluesy dans Détective de Jean-Luc Godard (1985) ; un flic macho fouaillé par le désir dans Sale comme un ange de Catherine Breillat (1991) ; un industriel pied-noir qui se lie d’amitié (voire plus ?) avec un médecin beur (Roschdy Zem) dans L’Autre Côté de la mer de Dominique Cabrera (1997). Autrement dit dans tous ces cas, un palmarès personnalisé qui suffit à notre admiration.
Dernier détail : sans qu’on connaisse Claude Brasseur dans la vie privée, il nous plaît de parier, à consulter à la diable quelques extraits de son autobiographie (Merci !, 2014), que ce gosse de célébrités – plus que négligé par son père Pierre Brasseur, qui ne devait pas être le dernier des ego-maniaques, et par sa mère Odette Joyeux, ex-star boudeuse du cinéma français des années 30-40, qui, contrairement à son patronyme, ne fut pas une maman marrante – était de la race précieuse des authentiques gentils.
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