Série B, gore ou fantastique, Trouble every day pose la question du genre cinématographique en s’appropriant les ingrédients du film de genre, pour finalement le transcender.
Aux premières projections de Trouble every day, certains spécialistes de la série B (et Z) se sont fendus d’une formule aussi lapidaire qu’assassine, qualifiant le superbe film de Claire Denis de « slasher pour la fondation Cartier ». Parfois, il ne faudrait pas laisser le cinéma entre les yeux de spécialistes prompts à se transformer en gardiens du temple assez mesquins. Et que voudraient nos vestales du cinéma bis ? Que les films de (mauvais) genre ne quittent jamais l’enclos barbelé des salles ou festivals spécialisés ? Que l’on reste éternellement dans les années cinquante, période où le cinéma B ou Z avait un sens et une existence « naturelle » pour des raisons à la fois esthétiques, économiques, sociales et historiques ?
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Aujourd’hui, on est en 2001 et on ne peut plus jouer à être Joseph Lewis ou Edgar Ulmer sans verser dans une posture aussi artificielle que ridicule. La beauté et la réussite de Trouble every day tient justement en ce que Claire Denis a su conjuguer un désir cinéphile avec la réalité de son statut, de son pays et de son époque, en ce qu’elle a su tirer un film cannibale vers la Beauté et le grand cinéma. Embourgeoisement ? Peut-être, mais un Jacques Tourneur nourrissait les mêmes ambitions esthétiques et artistiques, et s’il était cantonné au circuit du cinéma B, c’était contre son gré. Et puis à un certain moment, il faut savoir aimer les films pour ce qu’ils sont, indépendamment de leur statut B ou A ou de dérisoires affaires de chapelle.
Amatrice de cinéma gore, fan de séries B et singulièrement des films de Tourneur, Denis n’a pas oublié qu’elle est une cinéaste française travaillant en France en l’an 2000 et non pas un artisan employé par un studio produisant des films de genre de façon commerciale et industrielle. Elle s’est donc appropriée certains thèmes et figures du genre (le sang, la maladie, les ambiances nocturnes, les médecins et savants, le sexe et la mort ), mais pour les digérer dans son contexte à elle. Trouble every day se passe donc à Paris, aujourd’hui, et les « vampires » y sont des gens comme vous et moi, juste un peu plus malades (mais les grandes maladies épidémiques font partie de notre quotidien contemporain ? et comment !). Claire Denis les filme au présent, avec toute son intensité et toute sa croyance en eux, sans une once de second degré ni la moindre tentation de pastiche, sans un gramme de décorum et avec le minimum d’effets spéciaux.
La maladie cannibale infuse tous les plans du film, et l’inquiétude qu’elle propage contamine intégralement le spectateur. A force de travail et de réflexion, à force d’intelligence et d’amour pour le cinéma, Claire Denis a su éviter les écueils principaux du film de genre contemporain (le pastiche ricanant, l’hommage académique, le grand guignol’). A la fois présent et intemporel, quotidien et mythique, très abstrait et très concret, mental et charnel, Trouble every day développe les puissances du cinéma avec une telle densité et une telle inspiration que la question du film de genre en devient finalement très secondaire.
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