Le retour d’un grand écrivain argentin dans sa ville natale. Savoureux et caustique.
Imaginez Michel Houellebecq revenant à Meaux ou Christine Angot à Châteauroux et vous aurez une idée du pitch de Citoyen d’honneur, vaguement inspiré de la parabole du retour du fils prodigue. Prix Nobel de littérature, riche et célèbre, comblé et blasé, vivant à Barcelone, Daniel Mantovani (excellent Oscar Martínez) reçoit un courrier du maire de sa petite ville natale, en Argentine : on réclame sa présence pour lui rendre hommage et le faire citoyen d’honneur. D’abord réticent, il finit par accepter le voyage vers ce lieu de ses origines dans lequel il n’a plus mis les pieds depuis trente ans.
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Mais pourquoi tant de résistance à accepter un hommage de la communauté où il a grandi ? Usure des honneurs ? Cadavres dans le placard ? Peur de revoir ceux qui sont devenus des personnages de ses romans ? Sans doute un mélange de tout cela, ce que montrent patiemment Mariano Cohn et Gastón Duprat, avec un humour à la fois subtil et cinglant.
Ennui des cérémonies officielles provinciales, questions banales du public auxquelles l’écrivain a probablement déjà répondu cinquante mille fois, admirateurs collants, anciennes amours, admiratrices provocantes, copains d’enfance avec qui on ne partage plus grand-chose, le film déroule une à une toutes les étapes que doit se colleter Mantovani. Fastidieuses pour lui, elles sont savoureuses pour le spectateur.
Une fable kafkaïenne de plus en plus sombre
Pourtant, nulle condescendance d’urbains arrogants vis-à-vis d’humbles provinciaux de la part des auteurs : les habitants du bourg sont regardés avec empathie et l’écrivain est portraituré comme un individu amer et misanthrope, n’assumant pas d’être confronté à ceux qu’il a utilisés dans ses romans.
Entre cet “homme d’élite” et ces “gens du peuple” (pour reprendre une terminologie et une dichotomie en vogue), Cohn et Duprat montrent les dérives possibles de chaque classe sociale si on y reste confiné. L’écrivain célèbre devient un être n’ayant plus de curiosité ni de goût pour rien, alors que certains des villageois peuvent transformer leur complexe social et leur aigreur en haine féroce.
Commencé comme une comédie acide, Citoyen d’honneur vire à la fable kafkaïenne de plus en plus sombre, mettant le doigt sur une des plaies les plus vives de nos sociétés contemporaines (le ressentiment de classe) et appuyant bien fort pour conjurer le mal, transformant le rire en rictus inquiet.
Citoyen d’honneur de Mariano Cohn et Gastón Duprat (Arg., 2016, 1 h 57)
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