Avant d’emboîter une nouvelle fois le pas de l’ancien tueur surentraîné à la recherche de son passé, désormais cible de ses anciens employeurs, retour sur cinq films ayant tissé le motif de l’amnésique aux capacités très spéciales, entre poursuites explosives et accès de paranoïa.
La sortie de Jason Bourne, cinquième volet de la saga d’espionnage nerveuse et paranoïaque adaptée des romans de Robert Ludlum puis d’Eric Lustbader, signe le grand retour de Paul Greengrass, réalisateur des deuxième et troisième épisodes, tant célébré que décrié pour l’hyperréalisme nerveux et haché de sa mise en scène, et de Matt Damon dans la peau du personnage titre, ex-agent et tueur à gage pour le compte de la CIA laissé pour mort, sans passé ni mémoire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si la franchise capitalise sur l’exploration de son imaginaire complotiste et paranoïaque en assimilant nos angoisses contemporaines, elle renvoie aussi à l’archétype du héros amnésique au passé trouble, prêt à en découdre et à récupérer son identité par tous les moyens possibles, y compris les plus violents. Au fil de récits conjugués au passé recomposé, de nombreux films jouent ainsi avec les souvenirs de leurs personnages et l’esprit des spectateurs, entre puzzle mental, action pure et réflexion sur l’identité.
Le plus labyrinthique : Memento, de Christopher Nolan (2000)
« Les souvenirs sont malléables, ce sont des interprétations, rien de plus. Ils ne mesurent pas la réalité. » Memento, avec son titre sous forme d’injonction littérale à se souvenir, a propulsé Christopher Nolan sur le devant de la scène. Victime d’amnésie antérograde (perte de toute mémoire à court terme) suite au viol et au meurtre de sa femme, Leonard Shelby tente de retrouver l’assassin de celle-ci, un certain John G, afin de la venger. Pour mener à bien sa quête et recomposer le puzzle de sa mémoire défaillante, il note, prend en photo ou se tatoue les faits et informations importants.
Le récit entremêle deux esthétiques et temporalités qui progressent l’une vers l’autre. L’enquête est tournée en couleurs et montée à rebours, chaque séquence – ne dépassant pas la capacité mémorielle maximale du personnage – s’achevant sur le début de la précédente. S’y intercalent, cette fois par ordre chronologique, des flash-backs sur le passé du héros filmés en noir et blanc. C’est au spectateur, doté de mémoire contrairement au personnage, de démêler les fils de l’intrigue pour reconstruire pas à pas son identité. Film brillant et vertigineux en forme de vaste jeu de piste, ou objet prétentieux voire épuisant à la complexité forcée, Memento tente en tout cas de faire converger, non sans inventivité, sa forme et son propos.
Le plus néo-hitchcockien dopé aux stéroïdes : Paycheck, de John Woo (2003)
« Il a oublié son passé. Notre futur en dépend. » L’ingénieur Michael Jennings travaille sur des dossiers technologiques hautement confidentiels. En contrepartie d’une paye généreuse, il accepte que sa mémoire soit effacée à la fin de chaque contrat. Suite à un contrat de trois ans, il est trahi, laissé sans argent ni mémoire à la merci de tueurs privés et du FBI. Sujet à d’étranges visions, il va tenter de recomposer son passé. Film de commande adapté d’une nouvelle de Philip K Dick; Paycheck permet à son réalisateur John Woo, qui a revitalisé le cinéma d’action américain au tournant du millénaire, de déployer sans prétention l’habileté de sa mise en scène.
Malgré un style nerveux parfois épuisant et un Ben Affleck sans grand charisme, le film entrelace les motifs visuels, rythmiques et géométriques dans une gestion spatiale de l’action à la limpidité rappelant la ligne claire de la bande dessinée. En piégeant son personnage rappelant celui de Carry Grant dans La mort aux trousses dans une « machine hitchkockienne sous forme d’énigme temporelle faite d’amnésie et de prescience« , John Woo opère discrètement la jonction de deux mouvements temporels contradictoires : il faut parfois voir le futur pour comprendre la passé.
Le plus « relique des 90’s » : la série TV L’homme de nulle part (1995)
« Je m’appelle Thomas Veil. Ou du moins c’est ce que je croyais. Je suis photographe. J’avais tout : une femme, Alyson, des amis, un métier passionnant. Et en l’espace d’un instant, on m’a tout pris. » L’accroche de la série crée par Lawrance Herzog pose le ton d’un récit qui s’inscrit entre X Files, Le Prisonnier et Le Fugitif, en plein dans une mouvance très 90’s où le personnage erre seul contre tous, en quête de vérité et en proie à des forces politiques voire surnaturelles qui le dépasse. Pour l’anecdote, les deux premiers épisodes ont été réalisés par Tobe Hooper, le père de Massacre à la tronçonneuse et Poltergeist !
Thomas, photographe, est au restaurant avec sa femme. De retour à sa table après un passage aux toilettes, plus personne ne semble le reconnaître.Traqué par des hommes mystérieux et tandis que les traces de son existence disparaissent peu à peu, Thomas commence à penser qu’il est le jouet d’un machination mise en branle par un cliché compromettant pour le gouvernement qu’il a pris quelques années plus tôt… Malgré quelques longueurs, les tribulations du héros – interprété par un Bruno Greenwood à la coupe de cheveux improbable -, distillant suspens et humour dans une construction machiavélique faite de twists incessants, se savourent avec un plaisir certes un brin régressif. Malgré son arrêt au bout d’une saison, L’homme de nulle part a réussi à proposer à ses spectateurs une conclusion aussi satisfaisante qu’inattendue.
Le plus « série B honnête et bien ficelée » : Sans identité, de Jaume Collet-Serra (2011)
« Je ne sais pas qui vous êtes. Je ne sais pas ce que vous voulez. Si c’est une rançon que vous espérez, dites-vous bien que je n’ai pas d’argent, par contre ce que j’ai, ce sont des compétences particulières, que j’ai acquises au cours d’une longue carrière… » Certains auront reconnu la célèbre réplique de Taken, le film qui a lancé le sous-genre du « Liam Neeson Movie« , soit la résurrection de l’acteur cinquantenaire en action-man pour blockbusters depuis sa mort quasi-christique en Qui Gon Jin dans Star Wars épisode 1 : La menace fantôme.
Suite à un grave accident de voiture, le docteur Martin Harris, en voyage à Berlin, tombe dans le coma. A son réveil, sa femme ne le reconnaît pas, et vit avec un homme qui s’arroge son identité et essaie de le tuer. Avec l’aide d’une conductrice de taxi marginale, d’un ex-agent de la Stasi et de compétences physiques insoupçonnées, Martin va essayer de retrouver son identité. Entre accès de paranoïa, courses-poursuites effrénées dans Berlin, déluge de coups et crédibilité scénaristique jetée aux oubliettes, cette co-production internationale chapeautée par Joel Silver et adaptée du roman Hors de moi de Didier van Cauvelaert se pose comme un efficace thriller d’espionnage qui laisse entrevoir, derrière ses atours de série B calibrée, de multiples références et une certaine habilité de mise en scène.
Le plus culte : Total Recall, de Paul Verhoeven (1990)
Comment passer à côté du chef d’oeuvre ultra-violent violent et délirant de Paul Verhoeven quand on traite de la mémoire et des souvenirs, réels ou fictifs, comme moteurs dramatiques dans le cinéma d’action ? Adapté là encore d’une nouvelle du foisonnant Philip K. Dick, Total Recall nous projette dans un futur où la planète mars est colonisée et exploitée par un tyran. Sur Terre, Douglas Quaid – interprété par un Arnold Schwarzenegger des grands jours -, rêve de manière obsessionnelle de la planète rouge, sur laquelle il n’est jamais allée. Contre l’avis de son entourage, il décide de se faire implanter un souvenir factice par la société Rekall : « il était un fois un espion en mission sur mars en compagnie d’une belle et mystérieuse femme brune… » Mais pendant l’opération, Quaid se réveille, persuadé d’être un agent secret dont la couverture vient d’être découverte.
Inventif, outrancier, visionnaire, hilarant ou malaisant, Total Recall souffle le chaud et le froid, déployant avec maestria un récit haletant dans lequel on plonge sans retenue. Projetant le corps bodybuildé de son acteur de combats hyper-violents en révolutions spatiales, Verhoeven livre une oeuvre démesurée où l’opératique rejoint l’intime, et où l’action la plus jouissive s’entremêle à une réflexion politique aiguisée.
https://www.youtube.com/watch?v=iFmozCnOLew
Soutenu par des lignes scénaristiques récurrentes faites de twists incessants et combinant l’expérience mentale à l’action la plus effrénée, le « recall movie » fait figure de sous-genre en soi. Derrière le pur divertissement, il met à l’épreuve le spectateur autant que les personnages, et évoque des questionnements philosophiques extrêmement actuels concernant l’Importance de l’identité et de ce qui la compose, et le besoin d’être reconnu en tant qu’individu.
{"type":"Banniere-Basse"}