Avec ce ratage intégral autour de l’histoire d’un homme se baladant de film en film, hélas sans scénario, Yann Moix dégringole du Podium, bien aidé par Franck Dubosc. On est gênés pour eux.
Prof de maths en banlieue Régis Deloux est un quadra mal fagoté, aussi content de lui en public que minable en privé. Après un énième râteau amoureux, Viking 14 – son pseudo sur Meetic – va se consoler en achetant un stock de bouquins de maths. Il y trouve une broche renfermant le portrait de Viviane, une actrice de Sissi. Il la triture et se retrouve tout grésillant en noir et blanc. Amoureux, Deloux aidé par Pierre Richard en vieux mentor foldingue va traverser des films de toutes époques pour la retrouver et la sauver des griffes d’un méchant « hénaurme » Bref un banal pitch à la “get the girl & kill the baddies” qui aurait pu jouer du côté du poétique. Mais depuis que Poelvoorde s’est desisté du projet dès le stade du scénario on en attendait peu. Et Régis traversant l’écran n’a pas la grâce d’Alice. De Tarzan en Barry Lindon, de Pour une poignée de dollars à Taxi Driver, le premier homme a « avoir posé le pied dans un film » nous rappelle plutôt le fameux « ça ose tous les cons, c’est même à ça qu’on les reconnaît » d’Audiard père. Vague cousin du Bernard Frédéric de Podium et du Patrick Chirac de Camping, Deloux techno beauf 2000 n’a rien pour lui. Même pas le look coco avec ses vestes jaunes poussin et ses lunettes sécurité-sociale. Et plus on avance dans le film plus une seule chose nous vient à l’esprit : c’est comment qu’on freine ?
Avec un postulat de départ aussi casse gueule, le ci-devant romancier Moix plutôt que d’affiner son écriture s’auto-cite, repiquant des pans entiers de Podium. Par prudence, il ne lésine pas sur les salves de rires dès que Deloux entre faire sa star dans un film. Car même sans être trop exigeant, on a rarement autant ployé sous la débilité : pauvreté du scénar, dialogues double zéro (« salut les moule bites », « bienvenue à la fête du slip », « alors ma crotte/ma couille » ce genre).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
D’autant que Cinéman ne gagne rien à la présence de Dubosc en décalque direct de ses one man shows. Le campeur normand cabotine encore plus que Fernandel, mais c’est sûrement « Pour toi public ». Enfilant à peu près toutes les tenues hormis ses sous pull acrylique ou survet de kéké chéris, il s’y exhibe sans fin tout en prolongeant sa persona scénique de dragueur qui fait plouf. Mais comme Moix trop occupé à fignoler ses décors 70’s chéris se soucie comme une guigne de sa direction d’acteurs…
Prenons ainsi Lucy Gordon, la Viviane que Deloux doit ramener tenir sa partition dans Sissi. La jeune anglaise (tragiquement disparue depuis) fait ce qu’elle peut de ce rôle pas trop défini. Mais comment exister face à la faconde de commercial d’un Robin-Deloux en guêtres vert fluo dans la forêt de Sherwood ? Pierre Richard en vieux briscard du rire-de-chez-nous’en tire mieux en ressuscitant son personnage de gaffeur jovial d’il y’a 30 ans. Il est pourtant bien seul à rire de bon cœur. Quant à Michel Galabru, inratable depuis son triomphe chez les Chti’s, il livre sa gentille pige bi-annuelle de trois minutes. Le plus étonnant restant Douglas Crabs, prototype du méchant de nanar interprété par un Pierre-François Martin-Laval tellement aux fraises qu’il en devient too much.
Finalement que nous raconte Yann Moix : l’éternelle histoire d’un « mal aimé », le cœur en bandoulière, qui ferait n’importe quoi pour accrocher un regard à son ombre. Mais du n’importe quoi king size, criblé de private jokes sous la fixette 70’s d’un réal qui retombe en adolescence dans ses films crispants de couleurs criardes. Si au moins Moix s’était lâché baladant son Cinéman dans un porno franchouillard avec Alban Ceray, un naveton avec Jean Lefèvre ou une petite série Z comme zombies. Non : le foutage de gueule caractérisé de Cinéman reste respectueux, on ne dévoie que les chefs d’œuvre à la hauteur supposée du maestro Moix. Pourtant l’histoire de Cinéman, n’est elle pas aussi celle d’un prof de maths qui rend à ses élèves des copies catastrophiques en leur expliquant qu’elles ne sont payées ni au poids ni au nombre de références.
Ne devrait il pas en être de même pour les films ? Que la vraie vie soit ailleurs -au cinéma ?- on ne demande qu’à le croire. Mais pas dans Cinéman qui n’est même pas nul comme les copies que rend Deloux. Juste hors-sujet. Dire que Yann Moix qui dans son autre lui-même se pique de littérature va maintenant adapter le Céline du Voyage au bout de la nuit. Seigneur prends pitié !
Cinéman a au moins le mérite de faire court et sa bande-son rattrape le coup. Si on décroche vite de ce kaléidoscope, c’est pour mieux louvoyer du côté de la musique. Mozart, Beethoven, Rossini ou Ennio Morricone. Et aussi King Crimson qui se marie bien avec Le voyage dans la lune de Mélies… et tiens Pierre Bachelet. Au point où on en est, allons y pour Elle est d’ailleurs. Vu qu’on aimerait y’être ailleurs. Reste le splendide morceau de Julien Baer au générique de fin. Si son premier album passé à 300 années lumières du succès en 97 en sortait redécouvert, voilà qui donnerait à Cinéman une bonne raison d’exister. Sinon, on ne voit pas.
{"type":"Banniere-Basse"}