Le gouvernement a annoncé l’application, très prochainement, d’une convention collective établissant un salaire minimum à l’ensemble de l’industrie du cinéma français. Problème : les conditions prévues dans le texte menacent l’existence de toute une partie – la plus pauvre – de la création, qui s’est lancée dans une bataille pour faire valoir ses droits.
« La fin de la récré. » C’est par cette formule quelque peu indélicate que le ministre du Travail, Michel Sapin, annonçait le 26 février à l’Assemblée nationale la reprise en main du sulfureux dossier de la convention collective du cinéma français. Devant le blocage des négociations qui opposent depuis des mois plusieurs syndicats de producteurs, le gouvernement a donc décidé de mettre un terme à ce débat sensible qui concerne l’application d’un socle juridique commun à toute l’industrie – et notamment des minima salariaux. Quelques jours plus tard, le 14 mars, Michel Sapin et la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, cosignaient une lettre officielle adressée aux syndicats dans laquelle ils confirmaient l’extension d’un projet de convention collective dont la date est fixée au 1er juillet 2013.
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Fixer des règles dans un secteur peu encadré
Ce projet, adopté au terme de sept ans de discussions, a été signé au début de l’année par la CGT et quelques syndicats de techniciens (dont le SNTPCT), rejoints par les poids lourds de l’industrie (les groupes de producteurs Gaumont, Pathé, UGC, MK2…). Il vise à imposer un respect du temps de travail et des salaires minimums pour l’ensemble des techniciens (maquilleurs, décorateurs, chefs-opérateurs…), et ainsi fixer des règles dans un secteur où presque aucun texte (à l’exception d’un accord de 1967 sur l’emploi des acteurs) n’encadre les conditions de travail. Avec cette convention collective, les heures supplémentaires seront désormais strictement encadrées sur les tournages, et tous les films, à quelques exceptions près, seront soumis à la même réglementation sur les salaires.
Mais dans son urgence à doter l’industrie d’un cadre légal commun, le gouvernement a omis un tout petit détail : la diversité du cinéma français, les différentes économies qui le composent et constituent sa richesse. Pour un grand nombre de producteurs indépendants, dont certains œuvrent dans la part la plus pauvre du cinéma (celle des films de moins d’un million d’euros), l’application de la convention collective soutenue par le gouvernement se révélerait dans certains cas impossible.
« Ce texte met en danger beaucoup de films parmi les plus fragiles, note Marie-Paule Biosse-Duplan, la déléguée générale de l’UPF (l’un des syndicats de producteurs non signataires de la convention). On a estimé à 70 le nombre de films qui ne pourraient plus se tourner si l’on respectait les clauses de leur convention, ce qui serait dramatique pour la création, sans parler des répercussions sur les emplois. »
Dans le détail, de nombreux éléments indiquent que cette convention aurait été pensée « en dehors de la réalité économique du cinéma français », selon Juliette Prissard, la représentante du syndicat des producteurs indépendants (SPI). « Plus encore que la hausse du salaire minimum, c’est tout ce qu’il y a autour qui poserait problème : le coût des heures supplémentaires (majorées de 25%, ndlr), l’obligation d’employer des équipes complètes… Nous ne pourrons plus n’employer qu’un seul décorateur sur un plateau, il faudra aussi un chef-décorateur, un assistant décorateur. Vous imaginez les dépassements de budgets pour les tournages qui se faisaient avant en équipe réduite ?! »
Le risque : voir disparaître la frange la plus pauvre du cinéma français
La convention prévoirait certes une clause dérogatoire pour les films de moins de 2,5 millions d’euros (diminution des salaires minima contre un intéressement aux recettes pour les techniciens), mais elle ne serait que provisoire (cinq ans), et soumise à un quota de 20% de la production française totale. Rien qui ne suffise donc à rassurer les producteurs indépendants, qui s’inquiètent de voir disparaître la frange la plus pauvre – et parfois la plus dynamique- du cinéma français.
« Les films concernés seront ceux qui se font en marge de l’industrie et assurent la diversité, le développement, la recherche esthétique, témoigne Thomas Ordonneau, le directeur de la société de production et de distribution Shellac (coproducteur de Tabou de Miguel Gomes). Ces films devront donc se faire sans financements privés et tout en respectant la convention collective, bref, ils ne se feront plus. Ou alors de manière complètement sauvage, et leur mise en place sur le marché sera encore plus précaire qu’avant. »
Pour le jeune cinéaste Djinn Carrénard, auteur en 2011 d’un de ces films précaires tournés pour moins de 150 euros (sur lequel, évidemment, personne n’a été payé), l’application de cette convention collective serait d’autant plus « injuste » qu’elle coïncide avec « l’émergence de nombreux films sauvages, réalisés en dehors du système. Il n’y a pas de règle unique dans le cinéma, ajoute-t-il. Certains films se font avec une énergie grâce au travail et aux sacrifices d’une équipe, du réalisateur, des techniciens ou des acteurs qui acceptent d’être moins payés pour faire vivre le truc. On ne peut pas penser qu’en terme de droit du travail au cinéma, il y a aussi l’affectif, l’artistique. Ils sont en train de creuser le fossé dans le cinéma français au moment même où celui-ci retrouve une dynamique. »
Mais les producteurs indépendants n’ont pas encore dit leur dernier mot. Réunis autour d’un autre projet de convention collective, adopté le 22 janvier 2013 par l’APC, l’AFPF, le SPI et l’UPF, ils appellent à rouvrir le dialogue avec les autres syndicats de producteurs et réclament qu’une étude soit menée sur l’impact de la première convention avant qu’elle ne soit appliquée.
« On est rentré dans un rapport de force et on ira jusqu’au bout pour défendre d’une part la création française et d’autre part de nombreux emplois, annonce Juliette Prissard.
En signe de contestation, les syndicats de producteurs qui ont adopté une convention collective alternative ont décidé qu’ils cessaient leur participation à toutes les commissions ou comités professionnels (Avance sur recettes, aides régionales, comité de classification). Soit à peu près toute l’organisation du cinéma français suspendue jusqu’au 11 avril – date à laquelle l’extension de la convention collective devrait être confirmée.
Romain Blondeau
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