Stiller chez Baumbach, Sandler chez Apatow : le héros comique ne s’agite plus, mais semble en panne, essoré, amorphe.
Ce qui est bien avec le cinéma, c’est qu’il permet environ tous les dix ans un relevé des états d’humeur.
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Années 50, étouffement du foyer familial et invention d’un rythme propre à la jeunesse avide de ne surtout rien engranger : âge de la vitesse (Ray).
Années 60, vitesse acquise, franchissement des tabous : âge de la transgression (Kazan).
Années 70, transgression creusée de l’intérieur jusqu’au vertige, psychédélique et mutique : âge de la perte de soi (Monte Hellman).
Années 80 : coup d’arrêt à la perte de soi, retour à l’humour, à la communauté d’amis et au plaisir de bavarder ensemble – âge de la joie (John Hughes).
Années 90 : coup d’arrêt à la joie, évacuation des bornes du passé et de l’avenir, fixation sur le moment présent, esprit devenu une surface sans conscience – âge du spleen (Gus Van Sant).
Années 2000 : profanation du romantisme de l’âge du spleen, fixation sur la chair dans sa dimension la plus triviale, avec un soupçon de masochisme qui en fait encore une forme de punition de soi (trop jeunes, trop beaux – chez Larry Clark – ou trop moches et trop gros – chez Apatow) – âge du “trash”.
Et quelle sera l’humeur des années 2010 ? Deux films, l’un sorti il y a quelque temps, l’autre cette semaine, aideront peut-être à y voir plus clair. Dans Funny People de Judd Apatow et Greenberg de Noah Baumbach, une même scène fait office de centre secret du film : les deux héros quadragénaires se retrouvent au milieu de tout jeunes gens et cherchent à se mettre à leur diapason, occasion pour eux de mesurer ce qui les sépare des générations futures.
Indifférence et placidité
Les jeunes sont indifférents, les vieux déçus, mais tout cela s’accomplit gentiment, et malgré la cruauté de ce bilan, aucun n’en conçoit tristesse ou colère, à l’image finalement de cette humeur qui est la leur, indifférente aux élans du romantisme, aux déchirures de la souffrance, aux extrémités des transgressions, et même aux espoirs justes normaux : c’est un monde dont les héros sont mous, sans âge précis (ou alors intermédiaire, autour de la quarantaine), qui arrivent à faire spectacle par leur humour pulsatile mais sans mystère aucun (pas d’âme cachée), et qui se définissent par leur façon d’encaisser avec placidité, sans plan secret, les plaisirs et les difficultés prosaïques de l’existence.
Ils vivent par réflexe, persistent avant tout dans leur être, ne connaissent pas la violence irrationnelle des rapports humains, et s’épanouissent dans ces comédies plasmatiques où même le mal-être est fané et où la cristallisation, à peine désirée, resserre quelquefois, comme un vieux reste romantique qui bouge encore, la trame lâche du récit : années 2010, âge de la mollesse.
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