Il a failli abandonner la musique pour l’amour de la pellicule, sa « came ». A l’occasion d’une carte blanche accordée par le festival de Brive, le chanteur des Paradis perdus nous raconte son cinéma, son passé de projectionniste et de fournisseur en copies de Fellini. Au passage, il évoque Eddy Mitchell, Woody Allen, Sergio Leone, Desperate Housewives, la police, l’amour et les fiches cuisine de Elle… (photo : Lucie Bevillacqua)
Qu’est-ce qui relie les quatre films que vous avez choisi dans le cadre de cette carte-blanche très éclectique ?
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Sans doute pas grand-chose, sinon que je les adore tous précisément pour leurs différences, leur singularité, et puis le fait qu’ils ont tous été réalisé par des personnalités un peu atypiques, à la marge. Lola Montes, c’est surtout un souvenir. Souvent je ne retiens d’un film qu’un élément, un moment, et là je me rappelle surtout le romantisme qui se dégage du film d’Ophuls, ses couleurs. C’est quelque chose de très simple et ténu – c’est comme ça que j’aime le cinéma. Wanda (photo ci-dessous), ça vient de La Fièvre dans le sang, de Barbara Loden, ce qu’elle dégage. Cette fille qui est merveilleuse dans les films de Kazan, qui des années après fait son film, dans une ambiance qui me fait passer à l’univers d’un Cassavetes au féminin.
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Une femme à sacrifier (photo ci-dessous) de Masaru Konuma reflète lui mon amour des cinémas d’Asie – j’adore les films coréens, chinois, japonais… Dans ce film-là, ce que j’aime par-dessus tout c’est l’actrice, Naomi Tani, et puis ce que le film construit dans la sensualité et le fétichisme de ces images qui racontent cette vie que l’on a, de passage, pour aller au plus extrême du plaisir. Et c’est ça la vie, non ? L’Inconnu de Todd Browning, c’est un incroyable concentré d’art, de peintures, où l’on a l’impression de voir défiler des tableaux, à l’image du meilleur cinéma muet, les films de Von Stroheim par exemple. Et puis j’ai aussi choisi de montrer un court-métrage contemporain, Plus loin encore de Stéphane Derdérian. Vous l’avez-vu ?
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Non…
C’est pour ça qu’on montre des films ! Le cinéma, c’est comme la musique, on est chacun dans une vibration particulière, on suit des fils différents. Je ne suis pas un expert et je n’en serai jamais un parce que je ne poursuis que l’émotion. En matière de films comme en tout, je suis chineur (et non pas collectionneur), curieux de tout. Quand un film m’intéresse je regarde ses bonus en prenant des notes. J’essaie d’apprendre toujours plus, en allant dans les festivals, en fréquentant des gens experts dans leur domaine, en cherchant sur Internet… C’est ce qui m’importe, découvrir des choses tout le temps, des choses qui vous influencent pour faire de la musique, des spectacles… Il y a des images assez surréalistes que j’ai réalisées pour mon dernier spectacle, qui est beaucoup inspiré par le cinéma. Et puis j’ai utilisé des images venues d’ailleurs, comme par exemple des extraits de Bye Bye Blackbird (photo de ci-dessous) de Robinson Savary, un mec hyper doué, qui en plus aime la musique. La lumière est très belle, et son film a un vrai rapport au cirque, à la magie, donc ça m’intéresse.
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Qu’est-ce qui vous guide d’un film à l’autre ?
Aujourd’hui encore, il y a des films qui restent gravés en moi, dans ma mémoire, que je cherche depuis des années. Un film me marque, et je le poursuis parfois pendant vingt ans. Il suffit d’un plan dans un film, et j’attends, je cherche, et puis peut-être que des années plus tard, je vais le retrouver, et je sais que ce plan va me redonner la chair de poule. C’est une came.
Et puis je peux me retrouver, comme ça, à 63 ans, à me refaire d’un coup tout le cinéma de Woody Allen. J’adore Hannah et ses sœurs, et puis naturellement Match Point (photo ci-dessous), pour le symbole, pour ce que ça raconte. Il y a deux jours, j’ai acheté Coup de cœur de Coppola, que je tiens absolument à revoir, même si souvent dans ce genre de cas j’ai peur que cela ne tienne plus. Le Bal des Vampires, Mort à Venise, ça marche. Mais j’ai revu il n’y a pas longtemps L’Arrangement de Kazan, et pour moi ça ne tient pas.
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En cherchant, je vais tomber sur des films dont je n’aurais pas soupçonné l’existence, et passer d’un film japonais classique comme Tatouage à l’adaptation du Parfum, à laquelle je ne croyais pas du tout parce que comme tout le monde je m’étais construit mon truc à partir du texte de Süskind. Mais j’y ai trouvé quelque chose de grandiose qui n’a rien à voir avec le livre. Et puis tout à coup, je vais embrayer sur une série que me fait découvrir une amie et qui me fait marcher. Et pourtant je n’ai pas vraiment la culture des séries et je n’en ai pas vu beaucoup, parce qu’avant il fallait pour chaque épisode être à l’heure au rendez-vous. L’une des seules que j’ai suivi, c’est Friends (photo ci-dessous). Et puis là en ce moment, je suis dans Desperate Housewives. Techniquement, j’y découvre quelque chose, j’y vois une tendance où part un peu le cinéma, et j’aime ce que cela raconte. C’est autre chose.
Les titres que vous citez témoignent d’une cinéphilie qui n’a de frontières ni géographiques ni historiques.
Je n’ai pas de cases. J’ai beaucoup fréquenté quelqu’un comme Eddy Mitchell qui est très pointu dans une certaine forme de cinéma. Lui était capable de citer de tête qui était acteur, réalisateur ou directeur de la photo sur la plupart des films qu’il aimait, c’est quelqu’un qui fixe les choses. Moi je n’ai pas de mémoire, alors j’ai ce côté un peu anar. J’attrape des films au hasard, sans apprendre les fiches. C’est comme la cuisine, si j’essaie de suivre les fiches recettes dans Elle, je ne fais pas la cuisine. C’est une forme d’amour. Et l’amour, il est bien sans interdit, tant qu’il est anar. Enfin, pour aller vite…
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Pouvez-vous parler de cette époque où vous aviez une salle de projection et une considérable collection de films sur pellicule ?
Oui, bien sûr. Je peux vous raconter les kilomètres que j’ai faits la nuit pour échanger des machines à sous contre de la péloche. Je peux vous parler de cette fois où Fellini qui m’a envoyé une lettre pour me demander ma copie de La Strada (photo ci-dessous) en VO sous-titrée parce que personne d’autre à Paris n’en avait et Langlois à la Cinémathèque lui avait dit « Il faut demander à Christophe, le chanteur ». Je peux vous parler de mes appareils, ma salle de projection : mon premier projecteur cassait mes films, alors comme je comprends la machinerie, l’image, le son, et j’aime la lumière, je me suis procuré le plus fiable qui soit, le Xenon Philips SP20 – et je vais d’ailleurs peut-être en racheter un autre aujourd’hui.
A l’époque, j’avais un écran de 5,5 m, dans une salle de projection chez moi, avec une installation son stéréo, parce que je suis contre le traitement Dolby du son, avec des enceintes partout. Le son qui vient de derrière, c’est n’importe quoi, j’évite. Pour moi le son, ça vient des côtés, de devant, parce que le cinéma ne se passe pas dans la salle au milieu du public, ça se joue devant nous. J’en ai fait des trucs pour le cinéma. J’ai possédé quelque chose comme 500 copies. C’est comme ça, quand on est fétichiste de la pellicule.
La pellicule en soi c’était une drogue équivalente au film ?
La pellicule, c’était pire encore. A l’époque où j’avais ma salle de projection, j’ai presque complètement arrêté la musique, parce que je ne m’occupais que de ma collection de films. Et c’était une jouissance. J’ai donc arrêté de chanter, parce que dans la vie il y avait d’autres choses à faire que d’être chanteur. On me disait : « Ah, on vous a un peu oublié », et je ne répondais même pas. Parce que dans la vie il y a des choses que personne ne peut comprendre, comme dire « Je me suis désinteressé de la musique pendant dix ans parce que je préférais monter des bobines en 1800 mètres »… Parfois, encore aujourd’hui, je vais dans cinémas du Vème et je me pointe directement dans la cabine du projectionniste. Les types me prennent d’abord pour un touriste, et puis ils se rendent compte assez vite que je m’y connais, que je sais tout de la projection cinéma. Le toucher de la pellicule, c’est une chose extraordinaire. Prendre un bout de bobine entre deux doigts et sentir rien qu’au tactile, au gras, si elle est bonne ou pas, c’est une came. Et quand Fellini vous rend votre copie dégraissée dans les papiers qu’il faut, c’est un cadeau.
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Vous fréquentez les cinéastes ?
Pas tellement. A l’époque, j’avais rencontré Sergio Leone, que je voyais de temps en temps au bar du Ritz, et je crois qu’il m’aimait beaucoup. On se parlait peu, parce que son français n’était pas très bon, et mon italien guère meilleur. Mais c’est rare de rencontrer les metteurs en scène. Si ! Il y a quelques jours, j’ai rencontré François Ozon, dans ma loge. C’est drôle comme les gens auxquels on s’attend le moins peuvent vous frapper plus.
Comment ça ?
On les voit en interview sur CinéCinéma (que je regarde beaucoup), on a aimé quelques films d’eux, on se croise et puis tout à coup on est surpris de ressentir quelque chose de particulier. Cela peut-être moins bien, ou mieux. Avec Ozon c’était plutôt mieux.
Votre période collectionneur-projectionniste s’est achevée dans la douleur, n’est-ce pas ?
Oui, ça s’est fini à sept heures et demie, avec une perquisition de police. J’avais une combine avec le type qui détruisait les copies que les distributeurs envoyaient au pilon. Un matin, trois inspecteurs se sont pointés ici en roulant des mécaniques, ils m’ont embarqué quinze films, et le dégoût est arrivé. Car ces gens-là vous procurent le dégoût, quand ils vous enlèvent votre permis, quand ils vous prennent vos films, ils vous font du mal sans le savoir. C’est la vie.
Vous disiez tout à l’heure que vous chiniez dans les films pour y saisir des images, des plans qui vous fascinent. Dans quelle mesure le cinéma a-t-il influencé votre écriture musicale ?
Ça c’est quelque chose de caché, de miraculeux, d’inexplicable. C’est avant tout une émotion que cela déclenche, et cette émotion-là fait son chemin ailleurs, dans mon domaine, celui de ma création. Lorsque je prends les images d’autres pour mes spectacles, je les fais miennes. En restant moi-même, c’est-à-dire émotionnel. Cela comble mes manques, mes trous, et je le fais par admiration. Heureusement qu’on admire des gens. Et puis le montrer comme ça, en pleine face, c’est bien non ?
Christophe présente sa carte-blanche dans le cadre des Rencontres du moyen-métrage de Brive qui se déroulent jusqu’au 6 avril. Pour consulter la programmation : http://www.festivalcinemabrive.fr/
Après son passage à l’Olympia, il est actuellement en tournée : le 21 avril à Lille, le 16 mai à Bruxelles, le 12 juillet aux Francofolies – La Rochelle, le 15 juillet à Versailles, le 30 juillet à Carcassonne, le 8 octobre à Lyon, le 10 octobre à Nîmes, le 16 octobre à Bordeaux, le 23 octobre à Voiron, le 7 novembre à Reims, le 20 novembre à Bouguenais.
Remerciements à Karine Durance.
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