Dans ce premier long métrage d’une réalisatrice iranienne installée en France, l’islam radical se retrouve au centre d’une comédie du travestissement.
On raconte qu’au lendemain de la révolution islamique, le chah d’Iran a quitté son pays incognito, dissimulé sous un tchador. Vraie ou fausse, l’anecdote est difficile à vérifier, mais elle a inspiré à la documentariste Sou Abadi sa première et turbulente fiction, Cherchez la femme.
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Comme si, venant souligner dans la réalité tout le paradoxe obscène d’un outil d’oppression féminine tordu par l’homme en instrument de sa propre liberté, cette mascarade révélait aussi, hors de ce contexte, un formidable potentiel comique.
Un couple modèle nourri au bon grain de la laïcité et des échanges Erasmus
C’est en tous cas ce qu’a voulu en retenir Sou Abadi, cinéaste iranienne installée en France depuis cette époque où elle a dû fuir, elle aussi, le régime islamique de Téhéran. Près de quarante ans, c’était une durée sans doute nécessaire pour effacer la peur, la colère – elle était menacée en raison de ses accointances avec les jeunesses communistes –, pouvoir dire ce qu’elle avait à dire sans une once de haine ou d’esprit revanchard. Ce qui l’angoisse – l’islamisation des consciences, l’asservissement des femmes – Abadi choisit de l’exprimer dans un langage léger et facétieux.
C’est dans les couloirs de Sciences-Po, à Paris, que la fiction s’amarre : Armand (Félix Moati) et Leïla (Camélia Jordana) forment un couple modèle nourri au bon grain de la laïcité et des échanges Erasmus (ils ont pour projet d’achever à New York leur diplôme de fin d’études).
Le travestissement a d’abord une fonction de camouflage
Mais un beau jour, ils sont confrontés au frère aîné de Leïla, revenu fraîchement d’un voyage au Yémen. Radicalisé, Mahmoud (William Lebghil) séquestre sa sœur et lui interdit de voir son amoureux, lequel invente alors une parade de génie : se faire passer pour une musulmane prosélyte habillée en niqab, Shéhérazade.
Comme dans Certains l’aiment chaud, le travestissement a d’abord une fonction de camouflage (dans le Wilder, pour échapper à des gangsters, ici pour duper une autorité arbitraire) et, seulement après, il sert un imbroglio amoureux, quitte à devenir une parure inattendue, machine à réduire une distance, voire de séduction.
Chaque personnage est coincé dans une forme douloureuse d’héritage
Dans Cherchez la femme, il prendra le détour d’une rom com contrariée entre Armand et Mahmoud – ce dernier étant persuadé qu’Allah lui a envoyé ce modèle de piété pour en faire son épouse. Le niqab, en troisième lieu, devient aussitôt armure, paroi de protection contre le harcèlement.
Cet effet de scénario aurait pu tomber à plat, plombé par un humour borderline ou ricanant, si chaque personnage n’était pas nuancé à sa façon, coincé dans une forme douloureuse d’héritage. Le personnage de Moati – remarquable en musulmane voilée, coquette et perchée sur de hauts talons – n’est pas le parfait petit Parisien bourgeois qu’on croit initialement, puisqu’il tire en réalité sa science de l’islam de parents iraniens ; Jordana et Lebghil, quant à eux, interprètent ici deux orphelins d’origine sociale modeste, gérant chacun à sa manière le deuil.
Le portrait d’une France aux multiples visages
Par le biais de la dérision, Sou Abadi dresse le portrait d’une France aux multiples visages, dépeinte avec sensibilité et précaution. La réalisatrice raille tendrement les jeunes radicalisés de banlieue (qui troquent leur prénom français, Fabrice, contre l’appellation plus muslim de Farid), mais aussi les anciens Iraniens révolutionnaires pour qui chaque cause est prétexte à s’enflammer (formidable Anne Alvaro, ancienne opposante au chah reconvertie en Femen), les communistes et les étudiants de Sciences-Po, toujours avec une même férocité allergique aux systèmes, qu’ils soient d’ordre religieux ou social.
Si le refus du dogmatisme est bien la clé de cette forme d’humour sophistiqué, vif et savoureux, Cherchez la femme s’est heurté à un rejet violent qu’on a pu observer sur internet après la diffusion, en mai, de sa bande-annonce. Certains acteurs du film ont essuyé insultes et menaces de mort via les réseaux sociaux, confirmant que l’association des mots “rire” et “islam” déclenche encore beaucoup d’intolérance.
Cherchez la femme de Sou Abadi (Fr., 2017, 1 h 28)
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